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sms – MOBACTU / by @laurenceallard

[MAJ] Emoji, le « mot-image » de la culture mobile, signe métisse du smartphone aux objets connectés

 

Depuis le 16 juin 2014, le consortium Unicode, dans sa liste de caractères universels pouvant être utilisés sur les supports numériques, a intégré 250 nouveaux emojis, agrandissant la liste des 800 pictogrammes venant de plus en plus enrichir nos conversations mobiles. Beaucoup de commentateurs ont mis l’accent sur le fait que le doigt d’honneur était ainsi reconnu par cette instance, cédant parfois à une verve folklorisante typique du discours sur le numérique. Regarder dans quelle direction pointe cet emoji d’honneur et  qu’indique cette standardisation de ce qui nous semble relever d’un ensemble sémiotique de « mots-images » usitées dans nos interactions digitales… autant de questionnements que nous voudrions commencer à soulever ici. De fait, plusieurs données nous incitent à aborder l’hypothèse d’un standard communicationnel  émergent dont l’emoji serait emblématique mettant en forme plus avant une culture mobile faite des mots-images au sein d’une textualité indifférenciant iconique et scriptural. Et fin 2014, le mot de l’année aura été de façon inédite un émoji. Il existe désormais un emojiday le 17 juillet ainsi qu’un avatar emojiesque de wikipédia : emojipedia.

Emoji : du Japon mobile au « mot » le plus utilisé de l’année 2014

Dans Mythologie du portable, nous avions rapporté l’observation d’une certaine insularisation des innovations mobiles développées au Japon. Ce que certains nomment « le syndrome des Galapagos » n’est cependant pas justifié en ce qui concerne l’emoji que définit ainsi l’Oxford English Dictionary :   « a small digital image or icon used to express an idea, emotion, etc., in electronic communications. Les emojis sont, en effet, des pictogrammes qui représentent des choses comme les visages, la météo, des véhicules et des bâtiments, de la nourriture et des boissons, des animaux et des plantes ou des icônes qui représentent des émotions, des sentiments ou des activités.  L’emoji diffère de l’émoticône qui réfère à une série de caractères textuels (généralement des signes de ponctuation) qui est censé représenter une expression du visage ou un geste. Le mot « emoji » lui-mêmee vient du japonais: 絵 (e ≅ image) 文 (mo ≅ écriture) 字 (ji de caractère ≅). Les emojis sont apparus  en 1999 sur les téléphones mobiles japonais mais en raison d’usages locaux et peu généralisés dans le monde  Il y avait une proposition au début de 2000 pour encoder emoji DoCoMo en Unicode. A cette époque, il était difficile de savoir si ces caractères entreraient en utilisation généralisée et ce n’est qu’en 2007 que le consortium Unicode pris la décision d’englober les emojis. Il apparait qu’en 2014, c’est l’emoji ❤ qui aura été le mot de l’année, utilisé plus d’un milliard de fois par jour dans les conversations digitales parmi tant d’autre. On observe en effet qu’il se place désormais aux côtés des « like » et autres « favoris » au sein des formes de communication minimale, sorte d’accusé de réception ou de ratification du lien social.

Emoji d’honneur,  un doigt pointé vers  l’iconisation de la conersation téléphonique ?

Nous avions parlé dans un billet précédent « Qu’est-ce qu’une photographie à l’ère numérique? » de la plateforme Line et de sa large palette expressive en emoji conférant à la communication téléphonique une dimension iconique  inédite et typique de la multimodalité des interactions digitales dispatchées entre voix, texte et images selon les circonstances, les interlocuteurs et les équipements.

Cette iconisation de la conversation par téléphone mobile – qui se donne à voir dans l’usage récurrent de l’émoji –  s’inscrit dans un double contexte de mutation du mobile comme l’authentique « caméra-stylo » et de la socialisation achevée du genre « applications » notamment auprès du public juvénile et comme en atteste le nombre d’utilisateurs aux applications de messagerie mobile. Si le mobile dévore le monde, les emojis permettent de mettre le doigt sur cette nouvelle culture mobile. Des emojis qu’il est désormais possible de rechercher en tant qu’entités signifiantes sur certains moteurs de recherche.

Le rapport annuel de Mary Meeker « 2014 Internet Trends » paru en juin 2014 a mis en avant le chiffre de 1,8 milliard de photographies partagées chaque jour dans le monde soit la multiplication par 5 en deux ans de ces pratiques corrélées elles-mêmes à la montée des applications de messagerie mobile comme Snapchat. Le mobile est ainsi devenu dans de nombreux pays dans le monde le « premier écran » comme par exemple aux USA. Et d’après le nouveau  « Mobility Report » d’Ericsson,  les usages du téléphone mobile – ou plutôt des mobiles en comptant les tablettes et autres phablettes – semblent rompre plus que jamais avec le paradigme historique d’innovation autour de la voix et de la communication à distance au profit de pratiques de prises de vue et de visionnement d’images…mais qui ne sont plus juste des images mais à la fois des images et des mots mais aussi des mots-images, comme nous allons le montrer.

 

 

Les adolescents passeurs créatifs des mots-images (selfie, emoji…)

Les applications mobiles, moins d’une dizaine d’années après leur première émergence à la faveur d’un smartphone à la pomme, trouvent leur public particulièrement chez les adolescents. L’enquête « Junior Connect » (Ipsos, mars 2014) intitulée « Print, tablettes, autres écrans : les nouveaux usages des moins de 20 ans » établit une inscription à 50% des 13/19 sur les messageries instantanées  mobiles comme SnapChat ou WhatsApp et comptabilise 9 adolescents sur 10 utilisant des applications mobiles. En suivant le tag #everythingonmyphone, il est possible d »observer de l’intérieur cette culture mobile juvénile constituée par la singularisation – suivant la problématique du hack d’usage – d’une panoplie d’applications.

 

Leurs usages d’une conversation iconisée – dont relèvent les emojis –  sont également à l’oeuvre dans les selfies pris notamment par l’intermédiaire d’une application comme Snapchat. Selon une enquête Pew Internet de mars 2014, la moitié des jeunes entre 18 et 33 ans ont posté un selfie sur différentes applications web ou mobiles. Le selfie est, selon nous, plus de l’ordre d’un portrait de soi dans le monde au cadrage indiciel – supposant une performance gestuelle – dans lequel l’élément significatif est à vos côtés ou à l’arrière-plan (une personnalité, un décor…). Le selfie pris et envoyé avec l’application Snapchat par les plus jeunes ne relève pas unilatéralement d’une culture de l’éphémère narcissique mais constitue également un moyen de mise en scène des interactions présentes qui joue notamment sur  la programmant par exemple d’un effet de surprise ou de frustration chez le récipiendaire d’un ensemble de signes (image, dessin, texte) grâce au minutage de la durée de réception. Drama et coup de théâtre nourrissent ainsi les mises en scène de la vie quotidienne connectée des adolescents qui trouvent des espaces de publicisation temporalisées sur les réseaux sociaux mobiles. Comme l’explique cette lycéenne de Seine Saint Denis se prenant en photo avec Snapchat devant le tableau des départs de la gare du nord : « C’est la première fois que je vais à Londres. Je me suis photographiée avec le tableau des départs en mettant 5 secondes comme ça au lycée on va se demander où je suis partie. Ça me fait rire d’avance.» (S., 16 ans, Saint-Denis). Cette dramaturgie selfiesque constitue un bon terrain d’observation de la  « stylistique de l’existence » chère à Michel Foucault qu’aménage le mobile devenu compagnon d’existence des jeunes (et des moins jeunes). A l’aide de l’application Snapchat, les adolescents vont ainsi composer des agencements de signes visuels et textuels dans lesquels ils exercent leur créativité dans leurs interactions de tous les jours et ce parfois sur une durée de 24h quand elles ou ils recourent au format « story ». Ainsi cet exemple d’un snapchat envoyé par une lycéenne de 17 ans devant le poème « Le bateau ivre » de Rimbaud inscrit sur un mur parisien qui compose un autoportrait ironique en jouant à la fois sur les mots et les images.

L’emoji dans la salle des profs : un langage transgénérationnel

Mais il serait  erronée de limiter l’usage des mots-images et de la conversation iconisée aux seuls adolescents et de les singer comme un peuple numérique autarcique ne dialoguant qu’entre pairs dans un langage spécifique comme certaines visions psycho-marketing le proposent. Il existe  un caractère transgénérationnel de la conversation mobile à travers les échanges entre adultes et jeunes, telles ces conversations entre enseignants et élèves qui constituent un vecteur de pervasivité entre milieux sociaux et formats expressifs. C’est le cas de cette professeur de lettres en banlieue parisienne, Mathilde Levesque – auteure d’un livre de recueil des perles numériques et verbales de ses élèves intitulé « LOL est aussi un palindrome« . Cette enseignante, exemplaire de l’engagement des enseignants dans la mixité sociale et culturelle – poste régulièrement sur Facebook des messages écrits par emojis (captures d’écrans de SMS, photographies mobiles de copies commentées par ses propres mots-images).  Interrogée sur ce partage d’un langage commun avec ses élèves, elle explique, selon ses propres termes recueillis au cours d’une conversation en ligne de mai 2014, « seuls mes anciens élèves sont autorisés à utiliser les emojis dans les SMS qu’ils m’envoient ». Elle converse ainsi par mobile à la fois avec ses élèves mais également avec sa mère initiant une chaîne de diffusion de ces « mots-images » en toute créativité. On notera ainsi l’usage de l’image du revolver qui vient re-sémiotiser le langage non-verbal avec ce geste de « se tirer dans la tempe » qui survient parfois dans les interactions de face à face pour exprimer une lassitude exacerbée devant telle ou telle situation.

 

 

Grammaire et herméneutique de l’emoji

Mat Hild poursuit en expliquant que pour elle « les emojis sont très différents des smileys (que je déteste), car ils ne relèvent pas d’un automatisme. Ils me semblent pour la même raison très utiles pour éviter de gloser une émotion, particulièrement en contexte contraint. »

Une herméneutique des mots-images de la culture mobile peut à présent être observée à mesure que la palette expressive de l’emoj s’élargit et se customise à travers une gamme d’ applications de clavier. En janvier 2015, le procès du fondateur de Silk Road a même intronisé l’émoji dans les prétoires et ce faisant contribuant au tournal digital de l’herméneutique juridique qui doit prendre en compte désormais des pièces à conviction prenant la forme de statut facebook ou de SMS dans lesquels la présence d’un mot-image devient l’un des éléments de la production de sens. Alors que le smiley semblait un signe iconique déchiffrable non ambivalent, la communication idéographique créative suppose une technique d’interprétation, à la fois en raison de la non interopérabilité entre les marques de smartphone mais aussi par la polysémie des emojis. Certains vont même décrire leur propre émoji imaginaire par des mots quand ils ne peuvent ou ne veulent pas l’insérer.


A travers cette reconnaissance de l’emoji par Unicode ou encore le lancement d’un réseau emoji-only, pointons la possibilité d’un renouveau de l’écriture idéographique à travers l’usage des emojis en particulier et l’iconisation de la conversation mobile en général.

En effet, à la différence des smileys qui avaient une fonction de modalisation de l’expression typique d’un registre affectif de l’offre communicationnelle commerciale (que certains désignent comme relevant d’un capitalisme affectif), les emojis constituent, dans leurs usages observables, un langage de mots-images, venant s’ajouter aux langages verbal ou iconique déjà souvent indifférenciés dans la conversation mobile (photos de textes envoyés…).

De la textualité mobile, il avait été déjà beaucoup question dans ce blog. De son caractère hybride  textuel et iconique support à la fois d’usages d’automédialité ou conversationnels. C’est cette dimension langagière en tant que telle des mots-images comme partie prenante de l’histoire de l’Ecriture que réactualise la conversation mobile créative.

Une dimension langagière qui suit de près les règles syntaxiques de certaines langues comme cette étude menée par un analyste d’un cabinet d’études étatsuniens Tyler Schnoebelen qui a analysé 500 000 tweets comportant des emojis. Il fait observer que «les emojis ont tendance à être en fin de message, qu’ils respectent la chronologie du temps et des actions et ne peuvent être confondus avec des simples signes de ponctuation.»

 

C’est ce qui pourrait expliquer l’introduction d’emojis ethniques. Si les emojis ne consistaient qu’en des signes d’interjection iconique à l’instar des smileys, des enjeux identitaires n’auraient pas connus un tel écho car il est possible de discourir par emoji et de constituer un syntagme expressif dans une suite de tels mots-images. Ainsi, il existe une gamme d‘Ujo africains permettant de sortir des clichés de l’occidentalisme blanc dominateur dans sa mise à l’écart des emojis à caractère ethnique. La version 8.O d’Unicode propose depuis le 03 novembre 2014 une gamme de 5 tons de couleurs de peaux enrichi en juin 2015. Et depuis février 2015, la marque à la pomme propose des emoji représentant la diversité ethnique avec visages, pouces etc.

Une étude  a recensé sur un milliard de données d’un service de clavier – ce qui n’est pas très rassurant en termes de privacy – des usages différenciés par langues et par pays. En n’évitant pas l’écueil de l’essentialisme national, elle montre que les étatsuniens préfèrent le signe de l’aubergine. Ce dernier signe ayant été censuré dans la nouvelle fonctionnalité d’Instangram de recherche par emoji. Les français, suivant le cliché de leur supposé romantisme, abusent du coeur pour 55% des utilisateurs de ce clavier. Demeure un questionnement sur les usages locaux de signes comme, suivant les exemples de l’article, la séquence  fréquente de visages en pleurs chez les hispanophones venant marquer le  MDR plus que la tristesse. La recherche sur cette révolution de l’écriture mobile venant créoliser les langages et les langues reste encore à développer plus avant.

Il apparait également que sur Instangram suivant une étude interne de mai 2015 que depuis l’introduction des emoji sur les claviers entre 2011 (iOS) et 2013 (Android)  la moitié des « textes » sur ce réseau social de photographies mobiles soit composé de ces mots-images.  Les figures ci-dessous en indiquent la progression d’usage et la répartition thématique avec au centre les emojis d’affect qui sont également les plus fréquents et en viennent à s’utiliser pour signifier des expressions idiomatiques d’internet  comm “lol/hehe” , “xoxo” and “omg”  comme l’illustre le dernier schéma. L’auteur en conclut que l’emoji est devenu un quasi langage d’expression universelle. Nuançons ce propos en mettant en avant les jeux interprétatifs de ces signes qui mettent en forme plutôt une écriture métissage tramé dans un mix langagier typique donc de la conversation créative mobile.

Pour certains linguistes, le langage emoji connait une acculturation rapide tandis que d’autres spécialistes des sciences du langage vont contester la nature langagière des emoji en raison de son absence de grammaire par exemple. Cette querelle linguistique qui reconduit le partage épistémique entre langue et langage énoncée par Ferdinand de Saussure distinguant la première comme système et le second comme usages. Nous situant dans une perspective pragmatique, il nous parait opportun de documenter des expressions digitales métisées dont l’une des composantes langagières sont aujourd’hui les emoji au sein d’une matière multimodale.

Emoji et objets connectés : comment parler avec une montre même intelligente ? Vers des « glanceable interactions » et des micro usages mobiles ?

Nous avons décrit ici  l’extension possible de la connexion à toute chose, l’implémentation probable d’une intelligence artificielle à tout objet dans un monde multi-écranique. Ce champ d’innovation des objets connectés constitue un contexte favorable au développement du langage des mots-images. Les montres intelligentes, accessoire en vogue de la panoplie digitale dans la catégorie des wearable devices , sont parfois vendues avec une promotion marketing de la communication par emojis. La fonction de ces nouveaux bracelets connectés revient à faire office d’écran déporté du smartphone, de faire écran de résonance de notifications d’applications mobiles.  Parcourir les derniers messages d’un coup d’oeil (glanceable interaction)  et y répondre par un emoji depuis sa smartwatch, tel est le scénario d’usage présenté dans les discours d’accompagnement de ce marché . La marque à la pomme a ainsi sorti un guide des notifications pour capter un temps d’attention à 3 secondes. Ces « micro-moments mobiles »  s’inscrivent dans des formes minimales de communication déjà socialisées avec le like ou le favori des services de réseaux sociaux et autres réaffirmations phatiques du lien comme le succès de l’application YO  en est également emblématique. La multimodalité des interactions digitalisées, le fait de pouvoir communiquer par différentes matières d’expression via différents écrans et une pluralité d’applications, s’accompagne de formats d’engagement relationnel de plus en plus périphérique comme ici l’emoji émis par une montre. Conçue initialement pour donner l’heure en mobilité, la montre-bracelet connectée permet de compter son temps communicationnel à travers un répertoire de signes prêts à envoyer, à travers ces mots-images polysémiques.


Emoji ou encore stickers pourraient désormais être échangés de montres à montres comme le recherchent les développeurs des smartwatches. Cet appariement entre deux montres connectées – possédant la même « face » d’accueil –  ouvre la voie à l’aventure interactionnelle des emojis. Une aventure sémiotique à suivre afin de documenter le processus d’ajustement réciproque entre langage et device qu’en d’autres temps codex ou ordinateur ont matérialisé à leur façon. Les formes de communication minimales que favorisent les réseaux de montres intelligentes pouvant également véhiculer des signaux physiologiques tel le battement de coeur échangés entre partenaires appariés.

Le renouveau de l’écriture grâce à l’image connectée

Maurizio Ferraris dans son article « Ecrire avec le téléphone » publié dans  l’ouvrage collectif « Téléphone mobile et création » nous rappelle combien le téléphone mobile est avant tout « une machine à écrire, c’est à dire une machine à produire des objets sociaux ». Les emojis illustrent à la fois la créativité de la culture mobile contemporaine tout en s’inscrivant dans une histoire de l’écriture et de la communication. Ils symbolisent à la fois le futur technologique des interactions et leur ancrage dans l’histoire des mots qui est aussi celle des images. Il existe ainsi des emojis pour un des genres emblématiques de l »écriture mobile, le sexting pratiqués dans les SMS sexuels.

 

Des usages artistiques des emojis pris au sérieux comme un langage peuvent commencer dès lors à émerger comme cette création baptisée « Emojiopolis » (que nous a sympathiquement signalé @lucie_lemoine ✌ ). Citons également ces portraits de célébrités du moment réalisés en emojis par l’artiste rappeur Yung Jake grâce à ce site.

Relevant typiquement du digital labor entre travail gracieux et auto-exploitation, on peut mentionner la version en emoji de Moby Dick par les travailleurs d’Amazon Turk votant pour les 10 000 phrases en mots-images. L’initiateur de cet Emoji Dick développe un projet de traducteurs d’emoji pour créer, je cite, « des algorithmes permettant de traduire des phrases en anglais.

Cette culture mobile faite de mots-images qui s’invente dans les vagues d’usages inspire également des vidéos-clips comme ici :

 

Emoji et politique : nouveau langage de communication et de mobilisation

Des initiatives en matière de communication politique donnent à l’émoji le statut d’un signe d’un discours à la fois sérieux et esthétique. La ministre des Affaires Etrangères en Australie a ainsi donné une interview par mobile et par emoji en février 2015 tandis que le Discours sur l’Etat de l’Union 2015 de Barack Obama a été traduit pour les emojiphones par le Guardian US dédiant un compte Twitter @emojibama à cet effet. On peut se demander si un certain retour du mythe du langage universel ne pointe ici faisant du langage des mots-images des signes décodables par des non-anglophones. Mais comme il a été vu plus haut, à propos de l’étude Swiftkey les usages de ce langage possèdent des spécificités locales.

Il existe également un emoji inspiré par la gestuelle d’Angela Merkel. Elle est la première personnalité politique associée à un emoji. Le -<>-  donnant lieu à de nombreux détournements.

La technologie a outillé de nombreuses mobilisations dans le monde comme ce blog a en fait régulièrement l’analyse. Il est intéressant d’observer les usages de ce langage des mots-images dans ce contexte.  On peut ainsi lire dans une manifestation environnementale -organisée par une agence de design -des slogans par emojis.

 

L’association WWF a expérimenté le message de sensibilisation aux espèces menacées de disparition composé uniquement d’emoji accompagné d’un dispositif de don par retweet sur la plateforme Twitter.

 

Revolution will be emojized ? A suivre…

 

PS : Une version de cet article est parue sur Rue89

 

 

 

Monnaie mobile : des services innovants portés par les usagers [MAJ]

Certains considèrent le mBanking comme relevant d’une innovation disruptive, au sens où il aura permis un accès à des services bancaires à des populations rejetées par les institutions bancaires dans les pays en développement.

M-PESA, le modèle à suivre

M-PESA créé en 2007 par Safaricom, Western Union et la Fondation Vodafone, est souvent cité en exemple puisqu’il concerne désormais 57% de la population du Kenya. Alors qu’en moyenne en Afrique 5 à 10% des ménages possèdent un compte en banque selon un rapport de l’IFRI publié en 2010 , M-PESA en compte 10 millions parmi les 18 million d’abonnés au mobile dans le pays. Allié à la banque Equity et à la chaine de magasins et détaillants Uchumi et Naivas, M-PESA développe désormais des service au croisement de différents secteurs de la finance et du commerce. Ce service, aidé par les Fondations Vodafone et Rockfeller ainsi que Western Union, devenu paradigmatique en matière de mBanking se trouve répliqué dans le monde.

Ainsi, depuis l’automne dernier, à Haïti est proposé par la fondation de l’opérateur Digicel, qui touche un quart de la population, un service de dépôt et de transfert d’argent Tcho Tcho Haiti à quelques 20 000 personnes pour l’instant. Un autre opérateur haïtien Voilà en partenariat avec l’agence d’aide internationale Mercy Corps, via un programme du  gouvernement américain,  a mis au point un compte en banque  mobile allouant 40$ de crédit par mois afin d’acheter de la nourriture. Fonctionnant sur une base du Unstructured Supplementary Service Data, c’est à dire une fonctionnalité de messagerie instantanée des téléphones GSM, et non par SMS, ce service permet d’effectuer des achats grâce à l’envoi d’un code sécurisé au commerçant permettant le débit de l’acheteur comme le décrit ici l’une des membres du projet à un célèbre journaliste du New YorK Times, Nicholas D. Kristof.

Entre philanthropie et capitalisme, le rôle des fondations télécom

A noter que ce sont souvent les fondations des opérateurs mobiles qui ouvrent de tels services. Cette hybridation de la philanthropie avec l’un des secteurs économiques les plus en croissance est tout à fait typique également dans le cas de l’investissement de la Fondation Bill Gates dans le mHealth. Ce tournant philanthropique du capitalisme permet d’associer affaires et humanitaire, de conjuguer aide au développement avec croissance économique. Il a ainsi pour conséquence dans le cas de Bill Gates d’accroître son portefeuille de brevets en matière de santé de manière tout à fait conséquente. Et de fait, de nombreux projets philanthropocapitalistes associent la téléphonie mobile, en tant qu’elle est la technologie la plus présente dans le monde avec 5 milliards d’abonnés et représente un potentiel économique important. Ce rôle omniprésent dans la société et l’économie africaines des donneurs venus des USA notamment est critiquée dans une publication de novembre 2011 au titre évocateur : « The revolution will be not funded« 

Parmi les usages « humanitaires » de la monnaie mobile, nous avons parlé dans un précédent article « Mobile et santé dans le monde » de l’usage de la monnaie mobile dans les programmes d’aide alimentaire en Syrie par voucher SMS ou au Niger au printemps dernier, permettant aux populations d’acheter elle mêmes la nourriture là où elle se trouve.

Des innovations portées par les usagers

Il existe d’autres croisements entre humanitaire, santé et monnaie mobile comme par exemple cette entreprise individuelle développée au Kenya, Mamakiba, qui propose aux femmes enceintes des bidonvilles de Nairobi de pouvoir accoucher dans une clinique en épargnant pendant 9 mois la somme nécessaire. L’argent économisé est versé sur un compte M-PESA et c’est par SMS que le montant du versement et le solde du compte sont notifiés. L’idée de ce service croisant mHealth et mBanking est venu au fondateur en observant que certaines femmes n’accouchaient pas en clinique faute de disposer sur le moment de l’accouchement de la somme nécessaire à payer.  Ce service fonctionne comme un « calculateur d’économies » pendant 9 mois et est associé à une social venture  du nom de Jacaranda, qui déploie un programme de santé à destination des femmes enceintes.  Lorsqu’un compte d’épargne mobile est ouvert pour les frais de clinique, les femmes devraient aussi se rendre aux quatre visites pré-natales prévues par l’OMS.

Cette initiative privée d’épargne santé a été récompensée en octobre 2010, à l’occasion du concours Apps4Africa, soutenu notamment par la Secrétaire d’Etat Hilary Clinton qui a félicité par l’intermédiaire de YouTube les vainqueurs. Cette « application », qui pose de nombreuses questions sur l’état des systèmes de santé publics dans le monde rappelle également comment des services financiers et commerciaux peuvent venir d’usagers du téléphone mobile. C’est en tout cas la thèse du chercheur du MIT Eric Van Hippel, qui a travaillé dans Democratizing Innovation (2005) sur les innovations apportées par les usagers, les « innovations horizontales »  sur Internet comme le MP3 par exemple. Il s’est penché depuis sur les utilisateurs comme « innovateurs de service » à propos des secteurs bancaire et du commerce. Selon lui, de nombreux services peuvent être produits par soi-même.  Et étant donné que les utilisateurs peuvent produire par eux-mêmes un service (self-provided) dans de nombreux cas, il est également possible pour les utilisateurs d’innover dans pour les services qu’ils peuvent produire par eux-mêmes ». Dans un article co-écrit  avec Pedro Oliveira, sont étudiés une quarantaine de cas de services inventés par les utilisateurs dans le domaine commerciale ou bancaires et dans 85 % des cas se sont des services non offerts par les banques. Et les cas de telephone banking selon l’appellation des auteurs en font partie.

Entre  initiative personnelle et philanthropocapitalisme, la chaine des innovations autour du mBanking et de la monnaie mobile reste donc à suivre pour comprendre les formes et enjeux de la mondialisation contemporaine.

Mobile et santé dans le monde : enjeux et actualité

La rencontre entre la téléphonie mobile – objet technique le plus répandu dans le monde avec 5 milliards d’utilisateurs – et le champ de la santé ne se limite pas au débat sur les potentiels risques liés aux radiofréquences, comme c’est le cas parfois en France.

Par Laurence Allard, MCF Info-Com, Université Lille 3. Auteure de Mythologie du portable, ed.Le Cavalier Bleu, 2010.

En plus des belles histoires qui racontent comment le téléphone portable a un jour sauvé la vie de l’un d’entre nous, il existe de par le monde et notamment dans les pays les plus pauvres un usage massif du mobile dans des campagnes de santé publique. Soutenant souvent des infrastructures parfois déficientes, de nombreux projets innovants et pionniers en matière de mHealth ont été menés dans le monde. Et notamment sur le continent africain.

En effet, faute de médecins en nombre suffisant, en Afrique, on compte 1 médecin pour 7 000 patients en moyenne suivant les chiffres de l’OMS, ou de routes fonctionnelles pour se rendre dans les villages des zones rurales (selon le rapport de l’IFRI ), mais avec un taux de pénétration du téléphone portable en moyenne de 41% sur le continent africain et 60% des 400 000 villages africains couverts par le réseau télécom, le téléphone mobile y demeure un moyen technique fort utile dans le domaine de la santé. Dans les pays développés, le secteur de mHealth commence avec le boom des applications mobiles médicales pour smartphones, à être jugé rentable par les économistes des télécoms. Mais au-delà des arguments financiers souvent avancés en faveur du mHealth liés à la gestion des systèmes de santé dans le monde, il est important d’inscrire le développement de ce champ dans un contexte sociétal général d’une relation renouvelée entre les patients et les médecins et ce dans le cadre d’une médecine dite 2.0. A tel point que l’on parle désormais de Health Literacy, c’est-à-dire de la compétence des malades à obtenir et comprendre des informations médicales, afin de s’appproprier décisions médicales et éléments de traitement. (Lire la suite)