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Notice: Undefined variable: SDJIaH in /var/www/alternc/g/griom/mobactu/wp-includes/block-patterns.php on line 1 MOBACTU / by @laurenceallard – Blog de recherche sur les usages du numérique et du smartphone dans le monde
Journée d’étude co-organisée dans le cadre de l’Observatoire de l’IRCAV-Paris Sorbonne Nouvelle, du Groupe de travail « Politiques environnementales du numérique » du GDR 2091 CNRS Internet, IA et Société et du FablabSU.
Le numérique – à contrario de la mythologie de l’immatériel – possède bel et bien une empreinte matérielle considérable et à ce à tous les stades de son industrie. Selon le récent rapport « Pour un numérique soutenable » (2022) de l’agence de la transition écologique (Ademe) et de l’autorité de régulation (Arcep) , 62,5 millions de tonnes de ressources sont utilisés pour fabriquer et utiliser les équipements terminaux et 20 millions de déchets sont produits par an sur l’ensemble du cycle de vie. Ces innombrables déchets s’entassent dans des décharges, légales ou illégales, en attente de suivre les parcours officiels ou officieux du recyclage, formant ainsi de gigantesques « mines urbaines », réserves de ressources déjà extraites et proliférantes dans l’anthropocène. Extraire des métaux comme entreposer et retraiter des déchets électroniques sont autant d’activités écocidaires polluant l’air, les sols, les nappes phréatiques, et soulevant des conflits de justice environnementale de par le monde. La grande accélération du numérique intensifie l’ampleur et la violence de ces opérations.
Tout en rendant compte de ces dramatiques dommages et préjudices, cette journée a pour ambition d’éviter l’ornière dans laquelle tombe trop souvent les descriptions des mines et des mines urbaines : celle de récits apocalyptiques dénuant de capacité d’agir les personnes concernées et produisant des discours misérabilistes et déshumanisant. Il s’agit, au contraire, de donner la parole à des associatifs, des artistes, des designers, des architectes, des réparateurs et des chercheur.euses mobilisé.es sur les terrains post-coloniaux des mines au Congo RDC, des déchetteries d’Accra au Ghana ou des repair café de quartier et tiers lieux artistiques en région. Cette journée s’inscrit résolument dans la perspective de ressaisir des enjeux globaux mais aussi de visibiliser des dynamiques situées portées par des collectifs, souvent fragiles, qui travaillent quotidiennement à ouvrir de nouveaux possibles et fermer des futurs obsolètes.
La journée se tiendra FablabSU de 13h30 à 18h00, 4 place Jussieu, Paris, France 75005, Bâtiment Esclangon, niveau Jussieu. Elle associera conférences, visite du fablab et démonstration de réparations-créations.
Programme
13h30-14h20 : présentation de la journée par Laurence Allard, MCF (IRCAV-Paris Sorbonne Nouvelle), Clément Marquet (chargé d’enseignement et de recherche, Centre de Sociologie de l’Innovation, Mines Paris – PSL, i3) et Sophie Quinton (CR Inria Grenoble), coordinateur·rices du GT « Politiques environnementales du numérique » (GDR CNRS -2091 « Internet, IA et société ») et visite du FablabSU par Christian Simon (MCF-HDR Chimie, Sorbonne Université-Co-fondateur du FablabSU)
14h20-15h00 : « Mines urbaines et Fablabs : perspectives géo-chimiques, opportunités et difficultés du recyclage. Le cas de l’informatique et des plastiques », Christian Simon (MCF HDR Chimie, Sorbonne Université-Co-fondateur du FablabSU)
15h00-15h40: « Leçons d’Agbogbloshie, Accra, Ghana », Yasmine Abbas (Assistant Teaching Professor, Immersive Environments Lab Director, The Pennsylvania State University, Stuckeman School of Architecture and Landscape Architecture)
15h40-16h10 : « Pour un numérique décolonial », David Maenda Kikhoto (fondateur de l’association Génération Lumière)
16h10-17h : « Tech mining by Recyclism », Benjamin Gaulon (artiste, enseignant, cultural producer , Paris College of Arts, NØ SCHOOL NEVERS)
Le 13 mai 2022, à l’invitation de Gaëlle ¨Pradeau, responsable Sciences Humaines à la Scop Libraire des volcans, les coordinateur.es d' »Ecologies du smartphone » paru aux Editions Le Bord de l’Eau, Laurence Allard, Alexandre Monnin, Nicolas Nova ont présenté l’ouvrage dans le cadre d’un débat co-animé avec Matthieu Poinot, initiateur du lieu culturel Grin A cette occasion, Gaëlle Pradeau a rédigé un très lumineux et généreux texte de présentation suite à sa lecture de l’ouvrage que nous publions avec son autorisation et avec tous nos mercis !
« Introduction rencontre vendredi 13 mai Ecologies du smartphone (Le Bord de l’Eau)
Bonjour à tou.tes….Merci d’être là pour assister/participer à cette discussion qui portera sur ce livre, Ecologies du smartphone, publié récemment aux Editions Le Bord de l’Eau, et ce en présence des trois auteurs qui ont codirigé l’ouvrage, Laurence Allard, Alexandre Monnin, Nicolas Nova, que je remercie infiniment d’avoir accepté l’invitation (et d’avoir réussi à coordonné leurs agendas, ce qui était loin d’être évident) !! Enfin un immense merci à toi, Matthieu, pour avoir accepté d’animer avec moi cette rencontre (je précise : tu es l’initiateur de ce très beau projet de tiers lieu clermontois, Le Grin, rue Saint-Hérem, à la fois librairie d’occasion, café, lieu de discussion, de débat, etc, et bientôt restaurant ! En mai-juin, c’est bien cela ?).
Quelques mots, avant de commencer, pour vous présenter nos trois auteur.rices…
Laurence, tu es maître de conférence en sciences de la communication à l’Université de Lille, chercheuse à l’IRCAV-Paris Sorbonne (Institut de Recherche sur le cinéma et l’audiovisuel), où tu as cofondé le groupe de recherche « Mobile et création ». Tu es spécialiste des usages sociaux du numérique, en particulier du smartphone. Tu as publié et coordonné plusieurs ouvrages, plusieurs revues. Tu as conçu, et traduit cette anthologie de Donna Haraway, Manifeste Cyborg et autres essais. Sciences-fictions-féministes, aux éditions Exils. Et tu es l’initiatrice de ce livre collectif, Ecologies du smartphone, qui réunit une pluralité d’acteurs, philosophe, physicien, sociologue, anthropologue, historien, chercheurs de tous bords, militants, journalistes, etc. Livre que je vais présenter d’ici peu.
Un livre qui s’ouvre sur ta contribution, Alexandre : tu es philosophe, l’auteur d’une thèse portant sur la philosophie du Web, professeur à l’ESC de Clermont, en redirection écologique et design, directeur du master « Stratégie et design pour l’Anthropocène, directeur scientifique d’Origens Media Lab (laboratoire de recherche interdisciplinaire cofondé par Diego Landivar et Emilie Ramillien, axé sur les mutations/transformations induites à de multiples niveaux par la crise écologique). Et tu as publié, l’année dernière, avec Diego et Emmanuel Bonnet, cet ouvrage important, que vous étiez venus présenter chez nous, remarqué dans l’édition de l’écologie politique, parce que riche de perspectives et de concepts efficients, Héritage et Fermeture (aux très belles éditions Divergences) (la discussion qui va suivre se fera parfois, je pense, en écho à certains des positionnements développés dans ce livre, on essaiera de faire des liens).
Enfin, Nicolas: tu es anthropologue, professeur à la Haute Ecole d’Art et de design de Genève, où tu enseignes l’anthropologie des cultures numériques, l’ethnographie et la recherche en design. Tu es l’un des cofondateurs de Near Future Laboratory (structure de design basée en Europe et aux Etats-Unis, un travail exploratoire des futurs proches via le design et la spéculation, le design fiction : c’est-à-dire, je te cite, « à défaut de pouvoir prédire l’avenir, il s’agit d’anticiper et de spéculer sur des futurs proches ». Tu as aussi notamment publié en 2020 aux Editions Métis Presses, Smartphones : une enquête anthropologique, qui s’interroge sur les usages du mobile et leurs implications, au prisme de six « contorsions métaphoriques » qui permettent de décrire notre rapport à l’objet : le smartphone comme « prothèse », « laisse », « miroir », « baguette magique », « cocon », « coquille vide».
« Coquille vide », quand il tombe en panne…Or il était justement question de panne, panne numérique, jeudi matin sur France Culture (ce qui suit va me permettre d’introduire la présentation de l’ouvrage). On (Guillaume Erner) commence par évoquer l’île de Groix (Bretagne), qui malgré « ses airs de bout du monde », va elle aussi disposer de l’Internet à haut débit (la fibre)…Et en contre-point, on évoque l’affaire de sabotage qui à Strasbourg, Besançon, Reims, Grenoble, a récemment privé d’Internet des millions de Français, pendant plusieurs heures. Coupez des câbles (du moins certains), et vous coupez Internet.
Et l’invité (Tristant Nitot), de décrire alors cette réalité physique, et toute matérielle, d’Internet, que l’on a tendance à oublier : grosso modo trois couches. Les terminaux (ordinateurs, smartphone, objets connectés, etc), les réseaux de câbles (en cuivre, câbles de fibres) qui irradient le territoire, enfin les data centers (le cloud), qu’il nous faut imaginer comme de vastes hangars où des ordinateurs très puissants stockent l’information, et rendent possibles les services que l’on utilise quotidiennement (Facebook, Google, etc). Fin de la description, fin de la chronique.
Mais le numérique, a fortiori le smartphone, greffé aujourd’hui à nos vêtements, à nos gestes, à nos habitudes, objet témoin de nos vies numériques, dans un « monde qui devient numérique » (pour le reprendre le titre conférence inaugurale au Collège de France de Gérard Berry, prononcée en 2008 –Alexandre, probablement reviendrons-nous sur cette expression avec toi un peu plus tard) ce n’est pas que ça !! Et si nous avions là déjà une image quelque peu rematérialisée d’Internet, pendant ces huit minutes de chronique, je n’ai pas entendu parler de ressources minières, de coltan, de cobalt, de pic d’extraction du cuivre ou de criticité des matériaux, de centrales énergétiques, je n’ai pas entendu parlé de déchets électroniques, ni d’enfants creuseurs au Congo pour certains à peine âgés de cinq ans, ni de récupérateurs de métaux travaillants dans l’air vicié et sur les sols pollués de la déchetterie d’Agbobloshie à Accra (Ghana), où finissent pour partie les composants de nos smartphones, smartphones changés en moyenne tous les deux ans, alors même que notre ancien modèle, parfois, fonctionne encore.
Bref, il n’a pas été question dans cette chronique, point aveugle, d’écologie (au sens large), de limites planétaires. Il n’a pas été question d’exploitation intensive des ressources : c’est-à-dire d’un extractivisme « démétaphorisé » (Laurence), c’est-à-dire environnemental (distinct de celui de nos données personnelles), donc un extractivisme doublé d’une exploitation humaine qui actualise, et rejoue sous d’autres modalités, ce qui s’apparente aujourd’hui, en Afrique, en Amérique du Sud, à un véritable système colonial. Une réalité humaine, sociale, environnementale et géopolitique alarmante. La face cachée de nos SP est là, même si hors de notre vue, « présence spectrale qui hante véritablement l’artefact » (Poli) et ses usages : ce qu’ Yves Citton nomme l’inconscient technologique, « le refoulé logistique de la mégastructure » ; autrement dit : voilà l’envers du smart.
D’où l’importance et l’intérêt de ce livre, piloté par Laurence, proposant une critique renouvelée du numérique, mais aussi un véritable chantier conceptuel élaboré dans les pas de Donna Haraway, pour une écologie décoloniale du smartphone, visant à déconstruire les logiques impérialistes sur lesquelles il repose, tout en étant sensible tant à nos attachements, puisqu’ils sont là et de plus en plus âpres, qu’au potentiel émancipateur, mobilisateur, insurgent que l’objet, aussi recèle.
On réfléchira donc en premier lieu, justement à cette notion d’attachement. Le développement exponentiel du numérique, la généralisation de l’équipement « smartphone » (5 milliards 28 millions d’utilisateurs.rices dans le monde en 2019), interroge, puisqu’il sape d’un même geste, en se déployant, les conditions de sa propre durabilité, comme les conditions d’habitabilité sur Terre. Un usage illimité déconnecté des limites planétaires, donc, d’une part, et d’autre part, des attachements à des réalités rendues endogènes au numérique : c’est cette « épaisseur propre au numérique » (Alexandre), genèse d’un « nouveau monde » créé en surcouche sous se soucier des conséquences sur celui qui le porte, nouveau monde, ou réalisme nouveau, qui n’est pas le reflet de la réalité, ni la copie, ni l’empreinte: une certaine atmosphère de réalité, « un rêve emboîté dans un rêve, une image d’image » (Chatonsky)…C’est dire que le numérique induit, génère, de nouvelles règles du jeu, transforme/façonne (au-delà même qu’il ne les impacte) nos valeurs, nos modes de sociabilité, notre rapport à l’espace, au temps…Il nous faut donc hériter d’un dispositif : tout à la fois « commun négatif » (concept sur lequel tu travailles, Alexandre), « machine auto-immolante » (Likavcan et Benjamin Bratton, expression que l’on trouve dans l’ article que tu as rédigé pour la revue Multitudes), une technologie intrinsèquement zombie (José Halloy), en précisant que le mot « zombi », comme travail de la mort au sein même du vivant, renvoie aussi à la condition d’esclave (l’humain déshumanisé, privé de ses mémoires, de sa filiation, de ses lignées), comme à ce que Dénètem Touam Bona, appelle la nécropolitique propre à l’exploitation capitaliste. Donc « zombi » charrie une pluralité sémantique très forte, très puissante. Bref, des réalités nouvelles induites par l’artefact, auxquelles nous sommes de plus en plus attachés, dans un contexte d’effondrement de sa propre base. C’est le colosse aux pieds d’argile.
Alors, que faire ? A cette question, qui nous semble insoluble, Laurence, tu vas proposer une mise en lumière, conceptualisée, de ce qui se tente, s’imagine, s’improvise sur le terrain comme autant de contre-points en actes, à ce qui relève d’une véritable aporie. Démarches expérimentales, empiriques, exploratoires, répliques indociles et sous-optimales (Olivier Hamant), plus ou moins informelles, gestes subversifs et démarches militantes saisies au prisme des notions de jeux de ficelle, d’écojustice et de fabulation spéculative –c’est viser un leadership encapacitant de l’imaginaire- développés par Donna Haraway. A travers les exemples de l’association Génération Lumière, de la campagne No Congo No Phone, du réseau internet participatif à Détroit, du FabLab mobile de la déchetterie d’Accra, du collectif Kongo Astronauts, ou encore de la mise en oeuvre de captures citoyennes (une contre-métrologie des niveaux de pollution, forme de reprise en main par les citoyens des enjeux environnementaux) : à travers tous ces exemples, nous approcherons les notions stimulantes de lyannaj, d’afrofuturisme et d’afrikologie, de redignification des objets et de contre-faire (faire contre, tout en étant avec, le numérique).
Enfin, un autre levier d’action renvoie à la lutte contre l’obsolescence programmée des smartphones, que ce soit par le biais juridique (contre la résistance des fabricants de téléphonie mobile). Ou par le biais de la réparation (nous parlerons des Repair Café avec toi Nicolas, qui a enquêté sur le terrain, auprès de leurs animateurs et utilisateurs), nous parlerons de réemploi (Jerry Do It Together), de réutilisation créative (collectif Internet des objets morts, IoDT, qui a développé un concept de Minitel Café), etc. Tout ceci nous conduira à repenser notre rapport au numérique, pour une culture de la durabilité et du prendre soin, comme à réinterroger aussi la notion d’ « innovation »: dissociée de l’idée de progrès, elle est ici souterraine, silencieuse, mais ô combien corrélée aux enjeux qui sont nôtres : enjeux sociaux, décoloniaux, environnementaux.
Donc, une richesse de contributions, dans ce livre ; pluralité de voix/voies (Laurence), pluralité épistémique pour donner à voir ce qui s’improvise aujourd’hui même sur le terrain, tisse en mode mineur, de qu’ Yves Citton nomme une « écologie de la réparation », c’est-à-dire une écologie de la sollicitude et de la responsabilité (on revient à Donna Haraway), visant tant nos technologies, que nos relations et nos milieux de vie dans leur ensemble. Un buissonnement de pistes (Dénètem Touam Bona), comme autant de « zones d’incertitude offensive » déjouant les règles du jeu, et démontrant in fine, que nous ne sommes pas dépossédés de tout. »
Encore un grand merci à Gaëlle Pradeau et Matthieu Poinot pour cette l’organisation et l’animation de cette belle invitation !
L’ouvrage collectif « Ecologies du smartphone« , qui vient de paraître aux Editions Le Bord de l’Eau, est présenté par plusieurs autrices et auteurs qui ont partagé leurs réflexions, approches, méthodes et expériences. Merci à Alexandre Monnin, Nicolas Nova, José Halloy, Yves Citton et David Maenda Kithoko qui ont se joindre à cette vidéo-présentation ! Et merci à toutes et tous les autrices et auteurs qui contribué à cet ouvrage !
Pour rappel, l’argumentaire de l’ouvrage :
« Le numérique est le plus souvent présenté sous un jour immatériel et cependant son empreinte écologique est de plus en plus prégnante. La fabrication et les usages du smartphone, qui matérialise les pratiques digitales pour le plus grand nombre, s’avèrent à la fois énergivores et impactant au plan environnemental et plus encore supposent l’exploitation d’enfants et de travailleurs pauvres pour l’extraction minière de terres rares, métaux et minerai le composant. A moyen terme, le smartphone dont la 5e génération s’impose aujourd’hui, semble destiné à devenir une « technologie zombie » (José Halloy) et peu durable. Géo-physiciens, artistes, philosophes, designers, sociologues, architectes et juristes partagent leurs savoirs et pratiques afin de fournir un ouvrage en français qui propose : (1) une vision d’ensemble de ses problématiques et tensions, (2) sur la base d’un ensemble de travaux théoriques, d’enquêtes ou de production artistiques/de design. Le tout avec un positionnement mélioriste qui cherche à dépasser un positivisme technologique béat et un pessimisme techno-critique simpliste
L’ouvrage présente à travers des approches multidisciplinaires (sociologie, géo-physique, design, philosophie, architecture) les facettes plurielles du problème écologique posé par le smartphone. »
L’ouvrage collectif « Ecologies du smartphone » coordonné par Laurence Allard, Alexandre Monnin, Nicolas Nova, aux Editions du Bord de l’Eau est paru depuis le 18 mars 2022.
Le numérique est le plus souvent présenté sous un jour immatériel et cependant son empreinte écologique est de plus en plus prégnante. La fabrication et les usages du smartphone, qui matérialise les pratiques digitales pour le plus grand nombre, s’avèrent à la fois énergivores et impactant au plan environnemental et plus encore supposent l’exploitation d’enfants et de travailleurs pauvres pour l’extraction minière de terres rares, métaux et minerai le composant. A moyen terme, le smartphone dont la 5e génération s’impose aujourd’hui, semble destiné à devenir une « technologie zombie » (José Halloy) et peu durable. Géo-physiciens, artistes, philosophes, designers, sociologues, architectes et juristes partagent leurs savoirs et pratiques afin de fournir un ouvrage en français qui propose : (1) une vision d’ensemble de ses problématiques et tensions, (2) sur la base d’un ensemble de travaux théoriques, d’enquêtes ou de production artistiques/de design. Le tout avec un positionnement mélioriste qui cherche à dépasser un positivisme technologique béat et un pessimisme techno-critique simpliste.
L’ouvrage présente à travers des approches multidisciplinaires (sociologie, géo-physique, design, philosophie, architecture) les facettes plurielles du problème écologique posé par le smartphone.
Ouvrage dirigé par :
Laurence Allard est maîtresse de conférences en Sciences de la communication, Université Lille/IRCAV-Paris3 et co-fondatrice du groupe de recherche « Mobile et Création ». Elle développe une approche socio-sémiologue des cultures numériques depuis de nombreuses années.
Alexandre Monnin est le directeur du MSc « Strategy & Design for the Anthropocene », co-fondateur de l’initiative Closing Worlds, directeur scientifique d’Origens Medialab et Enseignant-Chercheur en école de management (ESC Clermont BS).
Nicolas Nova est professeur associé à la Haute-Ecole d’Art et de Design (Genève), où il enseigne l’anthropologie des cultures numériques, l’ethnographie et la recherche en design.
SOMMAIRE
Introduction : Écologies du smartphone : sur les traces de l’extraction et au delà par Laurence Allard, Alexandre Monnin, Nicolas Nova.
Technosphère et Biosphère
1.1 Alexandre Monnin, Le numérique comme nouveau processus de biosphérisation.
1.2 Matières, énergies et technologies zombies : les nouveaux défis du tableau périodique. Entretien avec José Halloy,
1.3 Francis Chateaureynaud et Josquin Debaz, Alternatives métrologiques. La critique des «solutions » numériques et la fabrique de prises collectives.
2. Numérique et décolonialité
2.1 Laurence Allard, Techno-critique, écocritique, faire-critique du smartphone. Pour un numérique décolonial.
2.2 Génération Lumière : une association pour la justice environnementale. Entretien avec David David Maenda Kithoko.
2.3 Un narratif à situer. Entretien avec Sara Creta.
2.4 François Huguet, Jeux de ficelles sans-fil à Motown. Les réseaux MESH de Détroit comme formes de lyannajismes numériques.
2.6 Eleonore Hellio, Kongo Astronauts fait son « matolo » au bord de la piscine.
3. Réparation et re-création
3.1 Nicolas Nova et Anaïs Bloch, Clinique du smartphone, clinique des usages, clinique environnementale.
3. 2 Économie circulaire et équipement numériques. Entretien avec Erwan Fangeat.
3.3 Mobile Camera Club, Droit à la réparation.
3.4 De la reparabilité à la dispensabilité, Entretien avec le Repair Café 5ème.
3.5 Jerry Do-It-Together. Entretien avec Justine Hannequin, Xavier Auffret, Romain Chanu.
3.6 L’Internet des objets morts. Entretien avec Benjamin Gaulon et Jérôme Saint-Clair (The Internet of Dead Things Institute).
Pour conclure Yves Citton, Smartness de surveillance et intelligences d’improvisation : deux écologies du smartphone.
INTRODUCTION
« Mais les gens n’ont-ils pas toujours aimé vivre au bord de l’eau ? » (Amitav Gosh)
Dans un contexte écologique critique, cet ouvrage a pour objectif de considérer la dimension matérielle de la culture mobile[1] en lieu et place de la mythologie de l’intangibilité du numérique. Cette prise en compte de l’ancrage techno-géo-physique du smartphone suppose à la fois de prendre en considération des composants, des infrastructures, des mines, des centrales énergétiques mais également des usagers, des travailleurs, des recycleurs, des réparateurs et des créateurs. C’est pourquoi cet ouvrage se positionne résolument dans une perspective d’écologie décoloniale du numérique, qui déconstruit les logiques extractivistes et impérialistes sous-tendant son avènement et ses usages. Le cadre de pensée et d’action de ce livre peut se décrire en mobilisant un ensemble de termes qui décentrent le concept d’Anthropocène[2] qui s’est imposé pour caractériser notre ère bio-géo-physique tout en re-liant humains et non-humains, milieux et sociétés. Alliant le « Plantationocène »[3] d’Anna L. Tsing au « planétaire » de Dipesh Chakrabarty, en passant par le « cosmo-afrofuturiste » des Kongo Astronauts, les écologies du smartphone proposées ici se pensent dans une « pluriversité » épistémique (Escobar, 2012), qui cherche à rendre justice à la pluralité des entités, pratiques et récits qui les peuplent. Les méthodes expérimentées dans différentes initiatives créatrices ou réparatrices présentées par les auteur.ices[1] , qu’ils soient artistes, ingénieur.es, réparateur.es, chercheur.euse.s, activistes, tentent, dans cet ouvrage de renouer les deux faces de la culture mobile, le « dark mobile » – extractiviste et énergivore – et le « téléphone smart » – émancipateur et mobilisateur. Ces démarches expérimentales situées et multi-acteurs prolongent l’imaginaire des « jeux de ficelles »[4] chers à Donna Haraway, ces gestes spéculatifs du faire et « du défaire ensemble », au travers des praxis du « lyannaj » (Citton, Huguet), de « l’afrikologique » (Abbas, Osseo-Akare), de la « redignification »(Monnin, Landivar), ou du « contre-faire » (Allard, Nova).
Ce programme de recherche-(re-)création des écologies du smartphone se localise tant dans les mines du Congo RDC qu’au sein des ateliers de réparation de Genève, dans les rues de Kinshasa ou dans les quartiers ravagés de Detroit, et met en jeu tout autant le tableau des éléments périodiques que la dernière application mobile à la mode. Il concerne tout autant des sujets – littéralement – mineurs (enfants des mines, adolescent.es numéricien.nes) que des sujets minorés (habitant.es non connectés, récupérateur.es des déchetteries du Ghana, réparateur.es subalternes). L’ouvrage entremêle volontairement une diversité de voix/voies plaidant pour des écologies du smartphone sans hiérarchies ni socio-professionnelles, entre chercheur.euse.s et artistes, activistes et régulateur.ice.s ni disciplinaires, entre les sciences, les savoirs et les savoirs-faire. Articles académiques avec notes de bas de page, enquêtes au moyen des méthodes du design graphique, entretiens avec des associatifs de terrain… la pluralité des modes d’exposition des écologies du smartphone est ainsi rendue visible et lisible par la pluralité des formes de compte-rendus.
Les écologies du smartphone mobilisées dans cet ouvrage se déclinent suivant trois grands axes de recherche et d’(hack)ctions permettant de panser le numérique comme “technologie zombie” pour imaginer des “technologies vivantes” (Halloy) alignées sur une planétarité habitable :
1-Une recomposition des interactions/intra-actions entre Technosphère et Biosphère
2-Une décolonisation des conditions d’existence matérielle du numérique.
3-Une revitalisation des déchets, rebuts et autres rebuts de la culture mobile.
Technosphère et biosphère
Le physicien José Halloy, dans l’entretien publié dans la première partie de l’ouvrage, introduit la criticité du numérique, en rappelant que “les crises écologiques sont les conséquences des technologies actuelles qui chamboulent les cycles biogéochimiques et réduisent l’habitabilité de la Terre pour l’humanité. La question des techniques est une question centrale et fondamentale pour l’Anthropocène. « Le numérique en général et le smartphone en particulier, doit ainsi se concevoir comme relevant du monde de la matière et étant partie prenante de la biosphère qui se trouve menacée par le processus de numérisation du monde. Un processus dont le cheminement mortifère est au centre de l’article d’Alexandre Monnin dépliant combien “le projet sis au cœur du numérique ambitionne d’enrégimenter une trame élaborée sur le temps long et combinant l’action d’une multitude d’acteurs, trame qui définit la condition terrestre, pour matérialiser, en surcouche, une seconde trame, fondée sur un idéal de formalisation, l’ensemble étant piloté par les représentants d’une seule espèce, la nôtre, en excluant le reste du monde. Coup de force d’une ampleur considérable – ou rédhibitoire, si l’on prend acte de la contradiction qui l’anime : établir et maintenir un nouveau monde à partir de celui qui lui préexiste sans se soucier des conséquences sur ses conditions de subsistance. » Les enjeux d’une biosphérisation du numérique s’avèrent cruciaux notamment pour les jeunes générations baignées dans la culture mobile. Leurs attachements au smartphone, devenus la porte d’entrée du monde numérique, sont encouragés par le capitalisme de plateforme, et rendus chaque jour plus intimes et âpres à contourner. Avec le risque de devoir connaître de nouvelles guerres, celles que José Halloy désigne comme les nouvelles « batailles du tableau périodique » : guerres pour le maintien d’un statu quo par ailleurs dévastateur, donc les conséquences sont désormais rendues visibles par les travaux des chercheuses et des chercheurs, des artistes et des lanceuses et lanceurs d’alerte.
Les interactions entre la Technosphère et la Biosphère sont également au coeur de l’article de Francis Chateauraynaud et Josquin Debaz qui mettent en visibilité l’apport de la “captologie citoyenne”[5] et des mesures citoyennes de pollution atmosphérique comme “une ouverture des futurs à partir de milieux d’expérience capables d’engendrer leurs propres prises collectives.”
Numérique et décolonialité : pour une écojustice multispécifique
L’un des moteurs de publication de l’ouvrage est d’avoir lu trop souvent cette colonialité du numérique abordée sous un mode métaphorique et socio-centrée, par les défenseurs des libertés numériques ou les pourfendeurs du « digital labor »qui plaident leur juste cause en arguant de la montée d’un « extractivisme des données ». En plus d’accabler l’objet smartphone et son caractère addictif comme le discours de panique médiatique nous y a habitué, c’est également le problème de l’extractif qui est soulevé au travers des multiples condamnations dont on l’affuble à propos des enjeux de collection de données. Ces deux maux nous semblent devoir pourtant être repensés dans une écologie du smartphone autant sensible aux attachements individuels et à leurs médiations sociales[6] que soucieuse de l’exploitation humaine et de la destruction environnementale. Notre hypothèse est que l’extractivisme, à appréhender continûment des données des utilisateur/trices aux minerais exploités pour les entreprises du numérique, ne renvoie pas seulement à une perte de la vie privée mais menace tout entier la viabilité de la vie terrestre tout en fragilisant toujours davantage les conditions d’existence des populations les plus pauvres et des plus fragiles.
L’invitation à décoloniser le numérique se réalise, dans une deuxième partie, à partir d’une triple critique : techno-critique, écocritique et faire-critique dans l’article de Laurence Allard, qui décline la pensée de l’écojustice multispécifique de Donna Haraway ainsi que sa méthode d’écofabulation sur le terrain des mobilisations contre le travail des enfants dans les mines du congo RDC ou encore des actions de surcyclage des déchets électroniques ou d’assemblage humain/non-humain emblématique d’un numérique « déparaillé ». Deux acteurs de ce terrain des mines du Congo RDC ont partagé leurs expériences et leurs actions. Le fondateur de l’association Génération Lumière, narre une enfance rendue invivable par les déplacements incessants causés par les violences dans la région du Kivu. Il a notamment participé à une campagne de sensibilisation sur les applications mobiles intitulée « No Congo No Phone ». Le beau nom de l’association « Génération Lumière » est partie prenante de ce mouvement « d’enlivement » – pour caractériser les nouvelles lumières nécessaires aux humanités environnementales. Sara Creta, journaliste, documentariste et volontaire pour Médecins Sans Frontières témoigne également des conditions d’existence des peuples des régions minières du Congo RDC et de ses actions pour une réappropriation des narrations par celles et ceux qui vivent et pâtissent de l’extraction de ces métaux indispensables à la fabrication des smartphones.
Autre terrain de lutte pour une « digital justice », la ville de Detroit qui a connu un effondrement économique en 2013 et dont certains habitants ont œuvré à restaurer des moyens de communication par le déploiement d’un réseau sans fil distribué dit « Mesh ». Ces actions sont appréhendées par François Huguet comme « un devenir-avec les autres » comme la nomme Haraway qui permet aussi de voir se dessiner concrètement les conditions d’un numérique plus éthique, plus inclusif, que l’on peut qualifier d’intérêt général (ou de « digital justice « si on reprend le vocable des Digital Stewards). »
Retour sur le continent africain pour suivre le cycle de vie d’un smartphone grâce à la présentation par Yasmine Abbas et DK Osseo-Asare. Leurs projets de fablab mobile dans la déchetterie d’Agbogbloshie à Accra (Ghana) concrétisent une vision alternative et non misérabiliste du déchet électronique comme ressource qui vise à transformer les rebuts du numérique dans le cadre d’un projet de « technologie appropriée » destiné à faire valoir le savoir-faire local et la participation de ses bénéficiaires. Leur projet AMP est un projet de « design justice », un modèle d’avenir orienté sur le faire, « afrikologique » plutôt « qu’afrofuturiste », qui donne la priorité à la production africaine des futurs par la consolidation des capacités existantes des communautés.
L’Afrofuturisme discuté par Yasmine Abbas et D.K Osseo-Asare se trouve revendiqué par le collectif d’artistes Kongo Astronauts qu’Eléonore Hellio a co-initié avec Michel Ekeba. Elle rappelle la situation qui a permis l’émergence de ce collectif, improvisant une combinaison d’astronaute faite de déchets de colombite-tantalite, ce fameux coltan extrait dans des conditions inhumaines, pour animer une soirée VIP à destination d’un groupe de téléphonie mobile à une époque où la connectivité était – et reste – limitée. Depuis, écrit Eléonore Hellio, « nos images se disséminèrent au-delà des frontières que l’Astronaute rêvait de traverser… La rumeur qu’un astronaute congolais avait atterri dans un des épicentres du brutalisme se propageait. » Le collectif Kongo Astronauts rayonne dans ce mouvement de l’Afrofuturisme dans lequel « le cosmos est ce qui nous rend étrangers à nous-mêmes. »[7] (Neyrat, 2021).
Réparation/récréation : de la remise en état au réemploi créatif
Sur la base des constats décrits dans les deux premières parties, la troisième section de cet ouvrage aborde l’écologie du smartphone à travers les usages du quotidien, par le prisme de sa dimension peut-être la plus concrète : la réparation. Car en regard des accusations d’obsolescence dont les objets numériques comme le smartphone font l’objet – et en parallèle aux propositions alternatives de modèles plus durables, comme ceux de la société hollandaise Fairphone – les pratiques plus ou moins officielles et expertes de remise en état du terminal et de ses composantes logicielles représentent la modalité d’action la plus manifeste de reprise en main de la non-durabilité quotidiennement manifestée du numérique. Les contributions de cette partie se penchent sur ce phénomène à l’importance croissante, en l’abordant sous de multiples perspectives, par des textes ou des entretiens avec des praticien.nes. D’abord en insistant sur les considérations concrètes associées aux pratiques, de la description des interventions dans les boutiques non-affiliées aux grandes marques, au moyen de l’enquête de terrain (Nova et Bloch), aux témoignages de Repair Cafés organisés dans le cinquième arrondissement à Paris. Egalement en illustrant les enjeux juridiques et réglementaires de ce domaine (Mobile Camera Club) ainsi que la place qu’ils occupent aujourd’hui (et occuperont demain) dans l’économie circulaire (Erwann Fangeat, ADEME). Mais aussi en soulignant comment des interventions techniques débordent du cadre de la réparation, par le développement de pratiques de réemploi des matières et de réutilisation créative (la communauté Jerry Do-It-Together et Internet of Dead Things Institute). Tout au long de cette partie, c’est tout un continuum qui se dévoile, de la simple remise en état à la réutilisation des dispositifs numériques et de leurs composants, de l’extension de la durée de vie des objets à leur seconde vie insérée dans des domaines et des usages différents de ceux pour lesquels ils avaient été conçus.
En conclusion, Yves Citton, dépassant les innombrables motifs de condamnation du smartphone, « nous enjoint à concevoir une écologie du smartphone qui dépasse le gaspillage actuel des ressources, le renoncement aux géants du numérique, et laisse germer une écologie de la réparation qui porterait non seulement sur nos smartphones mais aussi sur nos milieux de socialité et de vie dans leur ensemble. »
Remerciements
Laurence Allard remercie l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel de Paris Sorbonne Nouvelle et Guillaume Soulez pour l’aide financière à la publication de cet ouvrage ainsi que ses collègues du groupe “Mobile et Création”, Gaby David, Roger Odin, Laurent Creton qui ont oeuvré ensemble depuis une dizaine d’années à différentes collaborations éditoriales ou l’organisation de colloques. Merci à Alexandre Monnin et Nicolas Nova de m’avoir accompagné dans ce projet éditorial. Et à mes proches de leur patience et soutien.
Alexandre Monnin remercie Laurence Allard et Nicolas Nova pour leur soutien tout au long de la rédaction de cet ouvrage.
Nicolas remercie le Near Future Laboratory pour le soutien financier à cette publication.
Crédits :
Correction et préparation du manuscrit : Françoise Dufour (La Langagière)
Retranscription des entretiens : Marie-Eve Jaccaz, Nicolas Nova, Laurence Allard.
[1]La culture mobile désigne l’ensemble des pratiques, des contenus, des acteurs, des scènes d’usages, des actants et normes socio-techniques lié à la téléphonie mobile et au smartphone. Cf à ce sujet les travaux de Laurence Allard au sein du groupe de recherche “Mobile Création” de l’Ircav-Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Laurence Allard, Express Yourself 3.0 ! Le mobile comme média de la voix intérieure », in Laurence Allard, Roger Odin et Laurent Creton (dir.), Téléphone mobile et création, Paris, Armand Colin, 2014 et Laurence Allard, « Partages créatifs : stylisation de soi et appsperimentation artistique », Communication et langages, no 194, p. 29-39, 2017.
[2] Le terme d’ Anthropocène renvoie à au nom d’époque de l’histoire de la Terre qui a été proposée pour caractériser l’ensemble des événements géologiques produits depuis que les activités humaines ont une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre
[3] L’expression de « Plantationocène », substitut au trop univoque « Anthropocène », désigne l’ère géologique actuelle, qui débute lors de la colonisation des Amériques, et de l’économie de plantation qui en a résulté, marquant de manière irrémédiable la biosphère et le climat.
[4]Les jeux de ficelles ou « string figures » chez Donna Haraway renvoient à des figures de pensée élaborées avec d’autres en collectif tels ces jeux à deux mains où il s’agit de tisser des fils et composer des motifs à faire et à défaire. Elle décrit ainsi cette méthode et la visée de recherches coopératives et créatives : « les jeux c’est s’inscrire dans le jeu de qui donne et reçoit des motifs, en abandonnant des fils et en échouant, mais parfois en trouvant quelque chose qui marche, quelque chose de conséquent, peut-être même de beau et qui n’était pas là avant, quelque chose qui crée un relais de connexions qui importent ; c’est s’inscrire dans le jeu de raconter des histoires, les mains sur d’autres mains, les doigts sur d’autres doigts, des sites d’attachements sur et avec d’autres sites d’attachements ; c’est façonner les conditions d’une manière d’être florissante, mais limitée, sur la terre, sur notre globe. » Donna Haraway, Vincent Despret, Raphaël Larrère, « I. Jeux de ficelles avec les espèces compagnes : rester avec le trouble » dans Vinciane Despret éd., Les animaux : deux ou trois choses que nous savons d’eux (pp. 23-59), Paris, Hermann, 2014. https://doi.org/10.3917/herm.despr.2014.01.0023
[5] Cf. Laurence Allard, « L’engagement du chercheur à l’heure de la fabrication numérique personnelle », Hermès, no 73, p. 159-167, 2015.
[6] Antoine Hennion, « D’une sociologie de la médiation à une pragmatique des attachements : Retour sur un parcours sociologique au sein du CSI », SociologieS, Toulouse : Association internationale des sociologues de langue française, 2013.
[7] Frédéric Neyrat, L’Ange Noir de l’Histoire : Cosmos et technique de l’Afrofuturisme, Editions MF, Paris, 2021.
In Search Of An Aesthetics Of Crypto Art Alex Estorick / Kyle Waters / Chloe Diamond, 2021
Ce webinaire conçu par Laurence Allard (MCF, SIC, U.Lille-Ircav/Paris 3) et Nathalie Casemajor (professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, Montréal) souhaite analyser le moment NFT moins d’un point de vue strictement monétaire qu’en interrogeant , de façon réflexive, l’écologie d’expérimentations artistiques et de protocoles créatifs supposant des infrastructures, des contrats et des gouvernances.
La problématique des nouveaux protocoles créatifs à l’œuvre dans la création de non fungible tokens, ces créations numériques que l’on peut acheter ou vendre en cryptomonnaie par l’intermédiaire de blockchains supportant le déploiement de l’écosystème de la finance décentralisée (deFi), suppose des principes opérationnels, des modes d’organisation, des formes d’attachement et de gouvernance des échanges qu’il est instructif de déplier.
Ce moment NFT permet, d’une part, de revisiter l’histoire du Web et des architectures distribuées et décentralisées mais également d’interroger la problématique de l’unicité et de l’authenticité ré-inventées en milieu numérique.
Sont ainsi engagées des pratiques artistiques et des enjeux esthétiques propres à une scène crypto-artistique en émergence mais qui donnent lieu également à des produits dérivés (collectibles) dans la lignée des industries culturelles et créatives (musique, cinéma, jeu vidéo).
La diffusion et la mise en marché entre transaction, valuation, enchères, spéculation et financiarisation des NTFs met en jeu des marchés, des réseaux d’acteurs, des plateformes de visibilité et des pratiques vernaculaires à documenter.
Enfin, les usages sociaux des NFTs supposent des formes d’appropriation, entre communs techniques et nouveaux territoires de privatisation, engagent des subversions, des détournements et des conflictualités ainsi qu’ils déploient des utopies et imaginaires à décrypter.
Ce programme de recherche franco-québecois, sur les nouveaux protocoles créatifs et expérimentations autour des NFTs et du CryptoArt sera déclinée en compagnie de
Albertine Meunier, net artiste
Serge Hoffman, responsable pédagogique et professeur dans le département des Arts numériques de l’Ecole nationale supérieure des arts visuels de La Cambre (Bruxelles)
Alexandre Rouxel, Co-fondateur des projets Distributed Gallery & Spectre
Allan Deneuville, Doctorant contractuel ArTeC, en cotutelle entre l’université Paris 8 sous la direction d’Yves Citton et de l’UQAM sous celle de Bertrand Gervais
Erik Bordeleau, philosophe, chercheur à l’université NOVA de Lisbonne, co-initiateur de La Sphère, un projet de recherche-création web 3.0 qui explore de nouvelles écologies de financement pour les arts vivants
Le 17 avril 2021, j’ai eu le plaisir d’être invitée au séminaire « Médiamorphoses » du laboratoire GRIPIC/Celsa, animé par Pauline Escande et Valérie-Jeanne Perrier. L’occasion de développer une étude de corpus de contenus publiés sur l’application Tik Tok durant la pandémie liée à la Covid-19 en regard de la problématique d’une « algo-ritournelle » inspirée par les philosophes Gilles Deleuze et Felix Guattari et par l’esthétique pragmatiste de John Dewey à Richard Shusterman.
Les principaux points développés dans cette conférence sont les suivants :
■Parmi la panoplie des applications pour smartphone qui se sont succédées depuis l’apparition de ce contenu typique de la culture mobile (Allard, 2010), je propose un point d’étape au sujet d’une application, qui parcoure les années 2014-2020 et aura vu la popularité de ses usages s’accroître notoirement au moment de l’épisode de confinement du printemps 2020 en France ou du couvre-feu automnal.
■Formulation de l’hypothèse du smartphone comme « caméra-stylo » et « mobtextes » pour cerner les boucles audio-vidéo produites et vues via l’application TikTok.
■Les propriétés formelles conditionnées par les fonctionnalités de l’application favorisent des usages mimétiques orchestrés également par l’algorithme et les critères d’éditorialisation.
■A la façon d’une ritournelle suivant la définition qu’en donnent Gilles Deleuze et Felix Guattari dans Milles Plateaux (1980), la boucle TikTok popularise musiques et danses mais désormais aussi des slogans et des causes.
■ Observer une politisation des usages de cette application dans le contexte de la pandémie lui également a conféré le statut d’une scène où se performe un certain agir protestataire contemporain de corps à chœurs comme l’éclairage par l’esthétique pragmatique le suggère.
■Méthodologie d’analyse de corpus : délimitation d’un corpus autour des mots-clés liés à #confinement et #BLM du 17 mars 2020 au 6 décembre 2020 (avec actualisation partielle au 16/03/2021), entretiens avec la direction communication TikTok France et des créateurs, commentaire qualitatif autour d’un sondage YouGov (novembre 2020).
Colloque gratuit et ouvert à toutes et tous, publics curieux, étudiant.es, militant.es, scientifiques, journalistes, usager.es des technologies
« Time to start talking less about the technology for preventing global warming and more about the technology we’ll need to live with it. » (MITTechnology review, juin 2019)
Pour la huitième édition du colloque international du groupe de recherche « Mobile et Création » de l’IRCAV-Paris 3-Sorbonne Nouvelle, dans un contexte environnemental sinistré et de mobilisations dans lesquelles les smartphones jouent un rôle crucial pour témoigner visuellement et relayer l’information, nous avons pour visée de mettre en avant la nature matérielle de la culture mobile.
Ce sont les aspects géologico-techno-politiques des composants, des infrastructures et des usages qui seront mis à jour et débattus. La dimension ambivalente de la culture mobile sera dépliée en insistant sur sa face plus sombre, à savoir les aspects extractifs, énergivores, polluants et nocifs. Les crises humanitaires liées à l’exploitation de terres rares nécessaires à la technologie mobile (qui s’effectuent principalement dans les pays émergents et en développement) seront également abordées. En plus de documenter les controverses et conflictualités nombreuses que la culture mobile suscite depuis des années, en adoptant la méthodologie du « contre-faire » (Allard, 2015), le colloque comprendra des ateliers de recyclages et ré-usages en tout genre des déchets mobiles dans le cadre de groupes de travail associant designers, artistes et chercheur.e.s ayant oeuvré en France, en Afrique et dans le monde.
En s’attachant à la dimension matérielle de la culture mobile, il s’agit d’enrichir l’approche communicationnelle des usages et des contenus, en s’intéressant aux aspects géo-physiques des terminaux qui le rendent possible. Ce colloque a pour ambition de contribuer à développer une « écologie mobile » inspirée en partie de l’« écologie de l’attention », comme le propose Yves Citton. Une « écologie mobile » qui ne se contente pas d’accabler « l’addictif » comme le discours médiatique nous y a habitué, mais qui s’attaque également au problème de l’extractif.
Pour ce faire, il importe de déplier les conflictualités et controverses socio-techniques qui animent la problématisation écologique de la téléphonie mobile. Les jeux d’acteurs en présence, dans le domaine des relations entre environnement et téléphonie mobile, font intervenir tout autant des chercheur.es en sciences du vivant et sciences humaines, des régulateurs des autorités administratives, des associations humanitaires ou de techno-luddites, des designers et des makers. Il nous importe également de prendre en compte ces différents mondes et leurs membres afin d’élargir le champ de compréhension des enjeux du mobile sur une planète « endommagée » (Haraway, 2016).
Le colloque a donc pour ambition de mettre à jour la face quelque peu sombre de la culture mobile. De manière à rendre compte de l’ampleur de la problématique écologique du mobile, nous souhaitons saisir ce dark mobile dans les dynamiques de la conflictualité et de la controverse, mais également les tactiques de réparation et les stratégies de régulation. Le colloque invitera des intervenants dont les approches disciplinaires ou les engagements créatifs vont apporter des éclairages situés et précis afin de contribuer, durant ces deux journées, à construire une compréhension globale et contrastée de la problématique. Les modes d’intervention ainsi que les formats de session vont être conçus afin de favoriser les débats ouverts et collectifs sur des enjeux environnementaux et humanitaires qui concernent le plus grand nombre.
Comme c’est souvent le cas dans le cadre des colloques internationaux « Mobile et Création », c’est par la voie du faire et de la créativité que nous allons également procéder, et ce afin de contribuer collectivement au développement d’une « prise en main » des possibles dénouements de la crise environnementale vers une écologie mobile au sens propre.
Ce colloque contribuera donc au tournant anthropocénique des études sur le numérique en s’attachant non pas seulement à la vie privée des utilisateur.es ou aux prolétaires de l’IA mais aussi aux petites mains de l’extractivisme des terres rares et les damné.s d’un système planétaire endommagé.
Le colloque aura lieu en salle Athéna à la Maison de la Recherche de Paris 3, 4 rue des irlandais, 75005 Paris
Programme provisoire amené à être complété :
Mardi 11 février 2020
8h30- 9h Café d’accueil
9h15 – Ouverture
10 h – Keynote: Alexandre Monnin (Esc Clermont-Ferrand, Origens Lab) et Diego Landivar (ESC Clermont-Ferrand/Origens Lab) : « L’obsolescence à programmer ou la dernière application mobile ? »
Francis Chateauraynaud (EHESS), Josquin Debaz (EHESS), François Huguet (TélécomParis), Pierre-Jean Benghozi (École Polytechnique)
13h – Pause déjeuner
14h – Session 2 : « Réparer, maintenir: les cultures de la réparation »
Nicolas Nova (HEAD, Genève) et Anaïs Bloch (HEAD, Genève), Cyprien Gay et Caroline Lemerle (Repair Café du 5ème), Nadine Benichou, A propos du « right to repair » (Mobile Caméra Club, Erwann Fangeat (Ademe, Direction Economie Circulaire et Déchets), le collectif d’artistes Jérôme Saint Clair et Benjamin Gaulon du Internet of Dead Things Institute (IoDT).
17h- Pause goûter
18h-19h : Débat autour du numéro de la revue Multitudes « Est-il trop pour l’effondrement » avec les contributrices et contributeurs animé par Cyprien Tasset (Origens Lab).
19h- Atelier avec le Repair Café à la mairie du 5ème arrondissement
(Pour cet atelier, vous pouvez amener des objets à réparer)
Mercredi 12 février 2020
8.30- 9h – Café d’accueil
9h30 Keynote: Yves Citton (Université Paris 8): « Le problème des mauvaise herbes : coexistences conflictuelles et partage des incomplétudes »
Table ronde « Mobiles, crises écologique et humanitaire » : Yasmine Abbas (Université de PennSylvanie) et DK Osere-Asare, Sara Creta (Institut of Futur journalism, Dublin), Eléonore Héllio (Kongo Astronauts), José Halloy ( Université de Paris, LIED UMR 8236).
Projection du film de Elénore Ellio, « Postcolonial Dilemna #Track4 (Remix mix) within the multidimentionnal world of Bebson Elemba », 2019
13h – Pause déjeuner
14h – Conférence participative, « Mobile et environnement, le mobile comme capteur, initiation à la captologie citoyenne (Vincent Dupuis, Sorbonne Université et Collectif Air Citizen)
16h – Atelier « Design? DIY et écologies mobiles » avec Justine Hannequin, Xavier Auffret & Romain Chanut.
(Pour cet atelier, vous pouvez amener vos vieux appareils et chargeurs mobiles)
17h30 : rendu des ateliers, table ronde collective : déconstruire et après ? (défuturer, recycler, réparer, transformer…).
19h – Clôture
Une curation autour de la thématique « Ecologies mobiles » sera réalisée par la galerie Mobile Caméra Club.
Le colloque est programmé par Laurence Allard (MCF, SIC, Ircav-Paris 3) et organisé par Laurence Allard (MCF, SIC, Ircav-Paris 3), Gaby David (chercheuse Ircav-Paris 3), Roger Odin (PU émérite, Paris 3-ircav), Laurent Creton (PU, Paris 3-Ircav) avec l’aide de Clémence Allamand (docteure, Ircav-Paris 3) et Charlotte Péluchon (doctorante, Ircav-Paris 3).
« Time to start talking less about the technology for preventing global warming and more about the technology we’ll need to live with it. » (MITTechnology review, juin 2019)
Pour la huitième édition du colloque international du groupe de recherche « Mobile et Création », dans un contexte environnemental sinistré et de mobilisations dans lesquelles les smartphones jouent un rôle crucial pour témoigner visuellement et relayer l’information, nous avons pour visée de mettre en avant la nature matérielle de la culture mobile.
Ce sont les aspects géologico-techno-politiques des composants, des infrastructures et des usages qui seront mis à jour et débattus. La dimension ambivalente de la culture mobile sera dépliée en insistant sur sa face plus sombre, à savoir les aspects extractifs, énergivores, polluants et nocifs. Les crises humanitaires liées à l’exploitation de terres rares nécessaires à la technologie mobile (qui s’effectuent principalement dans les pays émergents et en développement) seront également abordées. En plus de documenter les controverses et conflictualités nombreuses que la culture mobile suscite depuis des années, en adoptant la méthodologie du « contre-faire » (Allard, 2015), le colloque comprendra des ateliers de recyclages et ré-usages en tout genre des déchets mobiles dans le cadre de groupes de travail associant designers, artistes et chercheur.e.s ayant oeuvré en France, en Afrique et dans le monde.
En s’attachant à la dimension matérielle de la culture mobile, il s’agit d’enrichir l’approche communicationnelle des usages et des contenus, en s’intéressant aux aspects géo-physiques des terminaux qui le rendent possible. Ce colloque a pour ambition de contribuer à développer une « écologie mobile » inspirée en partie de l’« écologie de l’attention », comme le propose Yves Citton. Une « écologie mobile » qui ne se contente pas d’accabler « l’addictif » comme le discours médiatique nous y a habitué, mais qui s’attaque également au problème de l’extractif.
Pour ce faire, il importe de déplier les conflictualités et controverses socio-techniques qui animent la problématisation écologique de la téléphonie mobile. Les jeux d’acteurs en présence, dans le domaine des relations entre environnement et téléphonie mobile, font intervenir tout autant des chercheur.es en sciences du vivant et sciences humaines, des régulateurs des autorités administratives, des associations humanitaires ou de techno-luddites, des designers et des makers. Il nous importe également de prendre en compte ces différents mondes et leurs membres afin d’élargir le champ de compréhension des enjeux du mobile sur une planète « endommagée » (Haraway, 2016).
Le colloque a donc pour ambition de mettre à jour la face quelque peu sombre de la culture mobile. De manière à rendre compte de l’ampleur de la problématique écologique du mobile, nous souhaitons saisir ce dark mobiledans les dynamiques de la conflictualité et de la controverse, mais également les tactiques de réparation et les stratégies de régulation. Le colloque invitera des intervenants dont les approches disciplinaires ou les engagements créatifs vont apporter des éclairages situés et précis afin de contribuer, durant ces deux journées, à construire une compréhension globale et contrastée de la problématique. Les modes d’intervention ainsi que les formats de session vont être conçus afin de favoriser les débats ouverts et collectifs sur des enjeux environnementaux et humanitaires qui concernent le plus grand nombre.
Comme c’est souvent le cas dans le cadre des colloques internationaux « Mobile et Création », c’est par la voie du faire et de la créativité que nous allons également procéder, et ce afin de contribuer collectivement au développement d’une « prise en main » des possibles dénouements de la crise environnementale vers une écologie mobile au sens propre.
Ce colloque contribuera donc au tournant anthropocénique des études sur le numérique en s’attachant non pas seulement à la vie privée des utilisateur.es ou aux prolétaires de l’IA mais aussi aux petites mains de l’extractivisme des terres rares et les damné.s d’un système planétaire endommagé.
Le colloque est organisé par Laurence Allard (maître de conférences, IRCAV-Paris 3/Lille), Gaby David (chercheuse, IRCAV-Paris 3), Roger Odin (Professeur émérite, Paris 3-IRCAV), Laurent Creton (Professeur des Universités, Vice-Président à la Recherche, Paris 3-IRCAV) et Charles Edgar MBanza (IRCAV-Paris 3)
Il aura lieu en salle Athéna à la Maison de la Recherche de Paris 3, 4 rue des irlandais, 75005 Paris
Le programme définitif sera bientôt communiqué ! En attendant, save the date:) La présence de Francis Chateauraynaud, Josquin Debaz, Jean-Pierre Benghozi, Nicolas Nova, Alexandre Monnin, Diego Landivar, Justine Hannequin, Cyprien Gay et Caroline du Repair Café-5ème est déjà confirmée !
Une polémique enfle au sujet du travail de Richard Prince exposant pour des centaines de milliers de dollars des photographies capturées sur Instagram. Elle se cristallise notamment autour de la question juridique puisque l’artiste plaide le « fair use » (usage loyal à caractère transformatif) pour justifier la valeur artistique de son geste d’appropriation mais qui est ressenti par certains auteurs des photographies capturées comme de la simple prédation.
Dans ce blog consacré à décrire empiriquement la culture mobile sur la base de collecte de corpus et d’entretiens, nous voudrions aborder la controverse Richard Prince en nous focalisant sur le type de contenu au coeur de cette polémique, à savoir non pas des photographies mobiles mais des captures d’écran agrandies et exposées.
En effet, ce contenu « capture d’écran » devient, selon nous, crucial à l’heure où nos existences connectées peuvent s’apparenter à un ready made by mobile. A travers la « capture » de soi, des autres, du monde dans le flux de nos conversations digitales créatives mixant sur le vif des images et des mots tout au long d »une journée, la banalité de nos vies quotidienne se trouve théâtralisée, mise en scène, racontée… bref se trouve transfigurée tel un objet trivial promu oeuvre d’art comme « ready made » par l’artiste Marcel Duchamp.
Des appropriations lucratives de Richard Prince au corpus endogène que tout praticien du mobile confectionne et partage tout au long d’une journée, l’art de la capture d’écran reste à décrire dans un contexte culturel foncièrement ambivalent entre le marché de l »art (ses galeries, ses critiques, ses artistes) et marché de l’expressivisme (ses plateformes, ses GAFAM, ses talents).
La capture d’écran comme art spéculatif : l’appropriation art selon Richard Prince
La controverse « Richard Prince » de juin 2015 débute suite à l’exposition d’impressions grand format de captures d’écran de photographies mobiles postées par des utilisateurs d’Instagram à la Frieze Art Fair à New York et notamment d’un portrait de femme vendu pour 90 000 dollars, Doe Deere par ailleurs créatrice d’une marque de cosmétiques. Cette dernière a reposté sur son compte une photographie de son portrait capturé avec ce commentaire aux hastags significatifs de la perception d’un marché de l’art contemporain spéculatif (#wannabuyaninstagrampicture) :
« Figured I might as well post this since everyone is texting me. Yes, my portrait is currently displayed at the Frieze Gallery in NYC. Yes, it’s just a screenshot (not a painting) of my original post. No, I did not give my permission and yes, the controversial artist Richard Prince put it up anyway. It’s already sold ($90K I’ve been told) during the VIP preview. No, I’m not gonna go after him. And nope, I have no idea who ended up with it! #lifeisstrange #modernart #wannabuyaninstagrampicture. »
En septembre/octobre 2014, à la Gagosian Gallery de New York, Richard Prince avait déjà exposé des clichés retouchés capturés initialement posté sur le réseau social de photographies mobiles qui s’étaient vendus pour certains à 100 000 dollars.
A noter que les photographies dont la valeur est jugée bonne à être captée sont par avance signées par l’artiste qui va les commenter par quelques mots ou encore des emojis. L’art comme ready made reste plus que jamais une question de nom propre comme Thierry de Duve l’avait démontré dans « Au nom de l’art » (1989).
Les commentateurs du travail de l’artiste contextualisent ces expositions de captures de photos d’anonymes en les replaçant dans une oeuvre débutée dans les années 70 autour du genre appropriation art consistant à « re-photographier » des photographies existantes. Parmi ces séries d’images prélevées dans la culture populaire, citons la photographie de l’actrice Brooke Shields ou le cow boy de la publicité Malboro. Les selfies, portraits de soi dans le monde réalisé par l’intermédiaire de son mobile, constituent pour Richard Prince aujourd’hui le terrain d’expression idéal de cette culture visuelle populaire dans un sens renouvelé puisque ce sont en effet des gens ordinaires qui se photographient par eux-mêmes.
Dans son essai « Appropriation Art » de 1978, Richard Prince a décrit le mode de réception de ces « images d’images » proche de l’état de « rêve éveillé » pointé par le sémiologue Christian Metz à propos du cinéma dans Le signifiant imaginaire (1975). Cette allusion à un « état affaibli de vigilance » trouve un écho particulier dans cette économie de la distraction développée par les réseaux socio-numériques et le déluge informationnel dans lequel nous naviguons sans grande attention :
« I think appropriation has to do with the inability of the author slash artist to like his or her own work, period. Especially if the work is all theirs, period. I think it’s a lot more satisfying to appropriate, comma, especially if you are attempting to produce work with a certain believability, comma, an official fiction let’s say. If you take someone else’s work and call it your own, comma, you don’t have to ask an audience, quote, to take my word for it, unquote, period. It’s not like it started with you and ended up being guessed at. The effect you want to produce is not that different from what an audience sometimes experiences when viewing a good movie. And that’s what — and then in quotes — somebody named Christian Metz called a general lowering of wakefulness.«
D’un point de vue juridique, l’artiste plaide le fair use – c’est à dire un usage loyal d’un contenu préexistant de part un apport transformatif et des conditions de publication qui ne pénalisent pas la diffusion première – pour justifier cette oeuvre qui interroge dans la lignée du pop art le caractère reproductible de l’oeuvre d’art à l’ère de la culture de masse.
Parfois cet usage loyal ne saute pas aux yeux des juges comme le procès perdu en 2013 suite à son utilisation des photographies de Patrick Cariou sur les rastas jamaïcains, retravaillées par Richard Prince en collages sur toiles, graffités et peints. Jugement en partie renversé en appel.
Une autre forme de contestation du caractère loyal de la captation d’images par Richard est proposée par les Suicides Girls, qui consiste à vendre des captures d’écran de l’exposition à la Frieze Art Fair pour le prix de 90 euros et de reverser ces sommes à des organisations comme l’Electronic Frontier Fondation, militant pour le respect la privacy sur internet. Cet activisme cible ici la côté de l’artiste sur un marché de l’art spéculatif.
On le voit la question n’est pas tant juridique que socio-esthétique avec cette valorisation inattendue de la capture d’écran. Il est assez étonnant d’établir un rapprochement avec cet « Art Work by Anonymous« , capture d’écran d’un post sur 4chan (en août 2014) vendue 90 900 dollars sur eBay. Ce screenshot consistait en cette sentence : « Avant, l’art représentait quelque chose à chérir, aujourd’hui, absolument n’importe quoi peut être de l’art. Ce post est de l’art ». Comme le faisait remarquer avec humour le philosophe Daniel Pinkas enseignant à l’HEAD de Genève, il semble que le marché de l’art se soit finalement aligné sur les jeux d’enchères du site de commerce en ligne Ebay pour valoriser l’art de la capture d’écran à hauteur de 90 000 euros.
La vie sous capture d’écran
La valeur atteinte par des captures d’écran au sein du marché de l’art n’est peut-être pas de façon conjoncturelle attachée aux travaux appropriatifs de Richard Prince.
Au sein de la prose abondante sur le numérique, peu de cas est fait de ce qui est à proprement parler un « écrit d’écran » (Emmanuel Souchier) dont les usages sont trivaux et multiples.
Photographie et SMS ont pu faire l’objet de travaux nombreux d’analyse en tant qu’ils viennent prolonger et renouveler les pratiques de l’écrit et de l’image. Les arts de faire des praticiens du numérique en matière de « capture d’écran » sont encore trop peu investis à notre connaissance.
Or ils possèdent une actualité du point de vue des usages conséquente et qui s’éloigne quelque peu d’une fonction de co-production de la factualité bien connue de nous tous (échange de recettes, de noms d’applications etc.) comme ici. La capture d’écran est ici moins un contenu en soi qu’une forme de duplicata.
Une première explication tiendrait en un déterminisme technologique renvoyant la montée du contenu capture d’écran (« screenshot ») dans nos corpus d’user generated content notamment chez les plus jeunes, au développement des pratiques éphémères de « snap » favorisées par l’application Snapchat.
L’un des usages juvéniles de cette application de composition d’un agencement créatif d’images-textes-dessins est en effet de capturer le moment présent et de le transmettre sur un temps limité (de 10 secondes à 24 heures selon les fonctionnalités).
Le mobile comme « technologie du soi » (Michel Foucault) supportant l’individuation et la socialisation des plus jeunes en tant qu’il est tel leur compagnon d’existence, rend possible en effet des pratiques photographiques et textuelles agentives et automédiales, permettant d’agir sur soi et ses affects à travers des expressions digitales.
De ce fait, quand le « snap » devient une routine existentielle chez les mobile born qui vont photographier comme ils respirent, comme ils regardent, comme ils ressentent, le fait de réaliser une capture d’écran en constitue le pendant temporel, pour notamment « faire des dossiers » dans lesquels le screenshot devient une nouvelle monnaie d’échange symbolique. On échange ainsi des captures d’écran dans les cours des collèges et lycées comme autrefois on échangeait ses trésors (billes de verres, billets doux…).
La virtuosité dans ce scénario socio-technique réside d’ailleurs tout autant dans la faculté de composer une capture d’écran d’un snap que de produire des images-textes prises sur le vif, en un coup d’oeil.
Admirer son prof en secret c’est réussir à le prendre une photo, la commenter par des emojis et l’envoyer à ses meilleures amies qui vont en réaliser une capture d’écran et la tweeter, illustrant les nouvelles tyrannie de la publitude à l’âge de la vie sous capture d’écran.
La pratique du « regram » sur Instagram, qui consiste à reposter des photographies notamment sous la forme de capture d’écran – en l’absence de fonctionnalité interne -constitue également un terrain fécond pour le montée du screenshot comme contenu.
Ce ne sont pas seulement d’ailleurs les « insta » qui peuvent être regramés mais l’on observe au sein de la panoplie d’écrans et de services entre les mains des utilisateurs des circulations comme des snaps capturés et montés avec un regram comme cet exemple l’illustre issu d’une initiative étudiante de maraude auprès des SDF de la ville de Lille.
Déjà esquissé dans un billet précédent consacré à la vidéo conversationnelle et à ces pratiques de captation en live ou en boucle qui agrémentent la vie quotidienne des plus jeunes et transforment des activités routinières en défi ludique (Dubsmash, Vine, Periscope, Snapchat), il nous est apparu que la « vie capturée », c’est à dire photographiée, vidéographiée, textotée constituait désormais un registre d’existence qui s’accomplit désormais non pas devant un écran mais avec des écrans scripteurs.
Faire de sa vie un ready made by mobile n’est pas toujours une modalité d’être au monde partagée par tous. Comme me le décrit cette maman factrice du Nord Pas de Calais de 45 ans avec perplexité « Ma fille, elle vit pour son téléphone. Elle se tape des poses [seflies] entre deux fourchettes et elle envoie à ses copines. Moi je lui dis tu manges froid ou tu arrêtes ».
Et dans le cadre d’une une existence connectée régie par l’im-médiaté des signes, dans le contexte d’une vie sociale médiée par des écrans-écritoires, ne peuvent s’échanger en effet que des images d’écrans.
Chez les plus jeunes, il devient concevable de « vivre et filmer/photographier sa vie » dans le même temps, de la documenter, de la narrativiser, bref de la transformer en un « ready made by mobile ».
Cette vie mise en scène en temps réel peut alors se monétiser comme le petit commerce de soi-même dans l’économie créative des GAFAM, la nouvelle scène de recrutement des talents producteurs de contenu du numérique.
Ce lycéen de 17 ans en terminale L de Paris, qui a ouvert une chaine Youtube, réalise des vines, confectionne des photo-montages sur Instagram et poste des sons sur Soundcloud et rêve de vivre de toutes ses créations sans savoir trop comment (« par la pub j’imagine » me répond-t’il dans le cadre d’un entretien par SMS), raconte comment il fait des vidéos avec son smartphone toute la journée « comme sa, dans l’enceinte du lycée mais pas pendant les cours ».
Ces technologies de capture du réel qu’ont représenté en leur temps d’invention la photographie, le cinéma, la vidéo, la télévision s’éloignent du paradigme de la représentation – c’est à dire d’un imaginaire morbide de préservation de l’existence par l’apparence décrit par André Bazin dans « Qu’est-ce que le cinéma » – au profit d’un usage de présentification au monde sous x apparences (en chair et en os, en images, en écrit, en boucle…) lorsque leurs fonctionnalités ont été intégrées au sein du terminal mobile, technologie de communication (à distance, en co-présence, avec soi-même).
Au sein de cette existence et ses interactions éprouvées dans des jeux de langage transécraniques et transmédiatiques, la capture d’écran fige la mise en abyme de soi comme ici ce selfie sur vine reposté sur une chaine Youtube par une jeune lycéenne s’essayant à la shortcomisation, cette mise en sketch de l’existence sur le modèle des Norman, Cyprien et autres talents dits numériques.
Exprimer un état intérieur par l’intermédiaire d’une capture d’écran d’un jeu vidéo auquel on est train de jouer ou comme ci-dessous son émotion suite au vote d’une loi sur la surveillance que l’on estime problématique vis-à-vis de la vie privée en capturant un stream video et y ajoutant des verbatims avec un logiciel type Fireworks, les usages expressifs de la capture d’écran sont désormais nombreux et divers.
On observe même des usages revendicatifs des captures d’écran des capteurs d’activités natifs dans les smartphones pour mettre en avant de mauvaises conditions de travail. Les données du soi quantifié et capté peuvent être détournées en un « tract post-digital » par une capture d’écran publiée sur des réseaux socio-numériques.
De l’auto-screen au screenshort : capture d’écran vs lien hypertexte ?
La notion « d’auto-screen » peut également être invoquée comme nouvelle pratique citationnelle chez les jeunes thésards qui vient démontrer un hack d’usage observable à plusieurs reprises sur twitter de contournement de la limite des 140 caractère par l’ajout d’une capture d’écran comme image sur l’interface de Twitter.
La capture d’écran d’un texte à usage de citation est le plus souvent réalisée avec les moyens du bord comme par exemple prendre une « photographie » mobile d’un article – une façon créative de digitaliser le réel et d’assurer la continuité entre anciens et nouveaux médias.
Cette capture d’écran ci-dessus a été ainsi réalisée par l’intermédiaire de Gimp suivant les explications de son auteur journaliste à Rue89, tandis que d’autres utiliseront un raccourci clavier du type « Ctrl-C Ctrv sur un document Word et saisie partielle d’écran shift cmd 4 » (A., 35 ans, universitaire, banlieue parisienne) pour citer un mail sur un compte Facebook. Comme l’exprime une screenshoteuse (L., 30 ans, juriste, Paris) « c’est du bricolage ».
Bricoler un ersatz de lien par une image d’écran, copier-coller des extraits d’un mail, les images d’écrans s’inscrivent dans cette remixabilité généralisée qui constitue la prose du web pour les praticiens du numérique dont la ligne de conduite pourrait être « express yourself by yourself! »
Avec la proposition de fonctionnalité native sur le système de publication Medium.com de « screenshort » pour partager des extraits d’articles sur d’autres réseaux sociaux, la capture d’écran semble faire concurrence au lien hypertexte au profit d’une textualité qui enchâsse les signes au sein d’un même énoncé comme ce tweet accompagné d’un « screenshort », d’une capture d’un extrait d’article.
Des images d’images de Richard Prince aux images de textes vernaculaire, du troll de l’art contemporain aux usagers tacticiens du numérique, un art de la capture d’écran s’affiche indéniablement au grand jour.
Ce qui n’exclut pas de penser que si Richard Prince est un troll de notre époque re-marchandisant dans le monde des galeries d’art contemporain ce qui permet à des GAFA de produire de la valeur à partir d’expressions photographiques gracieusement créées par des utilisateurs d’Instagram, c’est encore une fois la fondamentale ambivalence de la culture de notre époque que nous devons documenter au plus prés des pratiques pour ne pas tout à fait en désespérer.
MISE A JOUR : De la capture d’écran aux NFT
Dans le sillage du développement des cryptomonnaies et des Non Fongible Token des années 2020-2021, la mannequin Emily Ratajkowski, dont l’image été « appropriée » par Richard Prince a transformé ou tokenisé la photographie de l’artiste qu’elle a revendu aux enchères en mai 2021. Une autre forme de protestation sur la problématique de l’objectification des femmes…
Une autre réponse féministe et créative à l’Appropriative Art de Richard Prince est encore à l’oeuvre chez l’artiste Albertine Meunier à travers sa série de NFT aux titres ironiques.