Depuis quelques temps, on peut observer l’émergence d’expressions et d’interactions digitales par le biais de vidéos mobiles. Reconnaissables parfois à leurs controversés cadrages verticaux au point que certains parlent désormais d’un « syndrome de l’image verticale« . Avec leur format portrait popularisé par le genre selfie auquel Xavier Dolan fait référence dans dans son film Mommy, ces vidéos mobiles conversationnelles sont partagées via des applications Facebook, Vine, Snapchat ou via WhatsApps avec les dernières venues Dubsmash ou encore l’application de livestream Meerkat dont certains analystes discutent déjà l’usage pendant la campagne présidentielle étatsunienne de 2016. Citons la dernière arrivée en mars 2015, Pericospe qui n’autorise que le filmage en format vertical consacrant ainsi le format portrait mais qui permet de conserver le live pour une journée et dont les expérimentations journalistes commencent à fleurir. Ou encore l’application mobile de Facebook de vidéo collaborative, Riff avec des vidéos de 30 secondes pour concurrencer Vine et Snapchat. Plus qu’une explication par le déterminisme technique avec la montée des réseaux 4G, il convient de s’attacher à recontextualiser les derniers développements de la vidéo au sein des usages de l’image connectée.
Le tournant conversationnel de la vidéo sur Facebook, Internet comme « TV du peuple » sur YouTube
La mise en place sur la plateforme Facebook d’une fonction « autoplay » grâce au format « inread »- c’est à dire un lancement automatique des vidéos qui s’éteignent au fur et à mesure du défilement vient ainsi venir concurrencerYouTube.
A la manière des « stars » de YouTube est également comptabilisé depuis avril 2015 un « Top Publishers For Facebook Video » et dans la lignée des petites histoires du droit d’auteur, Facebook songe à développer une technique de Content ID à la manière de YouTube. Entre la plateforme vidéo et le réseau socio-numérique les vidéos circulent sous le mode du freebooting loin des bots du copyright. Des Youtubbers interpellent Facebook tandis que la guerre du copyright sévit désormais entre GAFAM comme à partir de 1999 elle avait concerné Napster et l’industrie du disque.
Il faut ici se garder de toute rhétorique subtitutionniste entre YouTube et Facebook. Tout d’abord parce que le moteur de recherche de Google auquel ce dernier service appartient représente une fonctionnalité d’usage encore inexistante sur le fil Facebook. Ensuite, si YouTube nourri par un foisonnement d’user generated content est devenue aujourd’hui une scène de construction identitaire (Youtubeuses) et de consécration des talents numériques renouvelant la création télévisuelle par le genre shortcom (Studio Bagel racheté par Canal+), l’usage conversationnel des vidéos sur Facebook et ses applications mobiles de messagerie comme Riff qui permet de créer une vidéo de 20 secondes à laquelle il est possible de répondre par une autre vidéo, peut s’avérer plus complémentaire que concurrentiel à YouTube, qui accueille plutôt des activités de recherche en tout genre (recettes, démos, tutos…) et des pratiques médiatiques divertissantes. En effet, la plateforme fait également office de « télévision » bis y compris pour les gamers qui regardent d’autres joueurs jouer comme nous le précisons dans l’ émission « Bits Magazine »/Arte.
Vidéoludisme mobile, entre remix culture et karaoké visuel
Ce vidéoludisme d’un nouveau genre consiste à jouer avec les images (et leurs sons) afin de nourrir des conversations créatives via les applications de messagerie et de réseaux sociaux mobiles venant ponctuer différents moments de nos vies connectées pour le meilleur et le pire en termes de données personnelles. Ces usages créatifs des applications mobiles tend à montrer que, désormais, ces dernières constituent le contexte socio-technique des interactions au détriment des plateformes historiques et emblématiques du tournant social du web 2.0. Un terrain de jeu récent en est représenté par l’application Dubsmash lancée au début du mois décembre 2014.
Les règles empruntent à la culture du remix et au karaoké visuel car il s’agit de sélectionner un court extrait sonore de films ou de musique et ensuite en cadrage frontal de mimer – en principe mais tous les hacks d’usage sont permis – telle scène ou telle chanson. Ensuite la vidéo peut être envoyée à son réseau de contact de la messagerie WhatsApp ou par SMS mais il est également possible de la conserver dans sa galerie photo pour d’autres modes d’échanges. Il est également proposé, en tant qu’utilisateur, d’enrichir la base de données sonores à rejouer.Voici parmi tant d’autres, une série de dubsmash réalisés dans un internat de garçons qui représente l’état d’esprit potache des usages juvéniles de cette application.
Nous avions en 2009 émis l’hypothèse d’un nouvel âge de la culture marqué par les productions des publics remixeurs. Depuis, le remix est devenu la prose du web et les expressions et interactions à travers les réseaux sociaux s’accomplissent par l’intermédiaire de contenus créés par les usagers ou de de contenus préexistants partagés. Des sites d’imageboard comme 9gag, tumblr, vidéos de Cyprien, Norman constituent la database audio et visuelle de cette poïétique ordinaire du copier-coller. Mais en l’absence de reconnaissance de l’usage loyal de la vidéo conversationnelle, la proposition de vidéoludisme mobile de Dubsmach pourrait être menacée par les ayant-droits des dialogues et musiques de films ou chansons célèbres rejouées et remixées par les mobinautes.
Thématisés sous le slogan « fun way to communicate », les usages de l’application en sont de fait récréatifs comme nous le font observer ces deux mères de famille d’une cinquantaine d’années immobilisées autour de 21h, après leur travail, en ce mois de décembre 2014 sur un quai de métro parisien en pleine séance de fous rires autour de leurs mobiles et des vidéos que la fille lycéenne de l’une d’elles envoie par WhatsApps comme par exemple ce pastiche d’une pub pour Nutella avec la voix de Golum qu’elle voulut bien me montrer. Cette scénette vient aussi démontrer combien la parentalité connectée n’est pas forcément un cauchemar entre cyberharcèlement et autres sexting mais qu’elle peut amener à partager des formes d’expression ludiques émanant des plus jeunes. Elle vient également démontrer comment le format « messagerie » reste un terrain d’usages innovants. C’est par l’intermédiaire d’applications de live mobile ou de vidéos mobiles partagées que communiquées les nouvelles de nos proches venant également prolonger les pratiques de visite amicale et familiale revisitée par le numérique (visio tchat, skype, facetime etc.).
Du SMS qui se réinvente toujours il y au live mobile, du texto à la vidéo mobile, c’est également l’histoire des langages et des formes de la communication interpersonnelle qui se poursuit dans ce mix habituel de tradition d’usage et de ramification innovante (notamment du point de vue des acteurs socio-économique ( OTT, GAFA…) et de l’offre de contenus (du site web intégré aux applications mobiles fragmentant services et fonctionnalités).
Micro-vidéo post-coloniale : les boucles de la reconnaissance
Une fonction identitaire de la vidéo produite et circulant via des applications mobiles est également à l’oeuvre dans certains usages de Vine dont les contraintes formelles de vidéo de 6 secondes diffusée en boucle peuvent être mis à profit par certains virtuoses à l’instar de la « GIF artist » Anne Horel à laquelle nous consacrerons notre prochain billet. Des séries dédiées à ces différents formats mobiles sont d’ailleurs en cours de conception. Certains artistes s’en saisissent, tel Jacques Perconte, invité du colloque « Arts et Mobiles » organisé avec Roger Odin et Laurent Creton, et qui filme relativement systématiquement sa vie quotidienne mais également ses oeuvres numériques au moyen de cette application. Ritualiser sa vie d’artiste avec les contraintes stylistiques de cette application de vidéo mobile ou théâtraliser sa privée comme le réalisent aujourd’hui de nombreux adolescents et jeunes adultes au cours de leur socialisation connectée, les usages de Vine – mais également toutes les innovations en matière de wearable camera – vont dans le sens d’une existence sous « capture d’écran ». Un jeune « rebeu » comme il se désigne lui-même a ainsi créé une chaîne Vine « SofianeFV » dans laquelle il met en scène de courts clips dans lesquels il performe son identité postcoloniale comme par exemple « Les rebeu en période d’examen » ou « La punition que tes parents t’inflige lorsque tu fais une connerie .. (Version babtou & rebeu) ». Il va s’en dire que plus la vidéo est jouée et affiche des boucles de visionnement plus la reconnaissance des pairs est forte.
De la micro-vidéo à la micro-animation, la mémoire remuante des images
Parmi les images bonnes à être partagées dans la dynamique de la sociabilité digitale, mentionnons également les GIF animés et notamment une collection de « GIF patrimoniaux » issus de films de cinéma que s’échangent cinéastes et cinéphiles. L’esthétique de la boucle du GIF a pour effet de réinventer le cinéma des premiers temps et ses formats courts dans un perpétuel présent.
On observe également au cours de l’été 2015 des partages de micro-animations d’image basées sur le format GIF mais qui s’apparente plus précisément à de la micro-animation d’images fixes comme le propose notamment le cinemagraphe.
L’épisode caniculaire du mois de juillet 2015 ayant donné lieu à des statuts offrant de telles micro-animations autour des scènes classiques du cinéma dans la lignée des films des premiers temps emplis de la monstration des puissances dynamogènes de la nature comme le vent, la pluie, le feu magnifiées dans les films Lumière par exemple.
gif conversationnel canicule 2 juillet 2015
Entre images fixe et animée, l’indifférenciation guette suivant le mouvement de métissage généralisé des signes que la textualité digitale favorise. Métissage des signes mais également collusion temporelle avec cette réactivation par le GIF et la micro-animation de siècles de créations visuelles qui forment les contenus expressifs ordinaires contemporains.
Story et Discover : raconter le monde depuis l’oeil-caméra mobile ou comment l’image verticale documente un soi dans le monde
Jouer avec les images au moyen de cet écran/écritoire, de cet oeil-caméra imaginé par Dziga Vertov, oqu’est devenu le mobile comme média de la voix intérieure, pour raconter qui l’on est ? où l’on est ? avec qui ? dans quel but ? – autant de questionnements auxquels le genre « Selfie » apporte également des formes visuelles de réponses – constitue l’une des promesses de la fonctionnalité « Story » sur Snapchat. Implémentée depuis octobre 2013, elle permet d’éditer une «story» personnelle à partir de ses snaps, c’est-à-dire un résumé de sa journée visionnable pour tous ses contacts pour une durée de 24 heures. Cette prescription d’une « narration de soi » supposant à la fois des algorithmes de montage et des énoncés personnels typique des nouvelles créations algorithmiques se trouve détournée par les usagers mais aussi les concepteurs de Snapchat. Cette application Snapchat – que des analystes ont voulu ériger en emblème des pathologies du narcissisme contemporain – a par exemple été utilisée, à travers sa fonction « story », pour produire un reportage sur les émeutes de Ferguson aux USA. Cette « story » agençant de façon chronologique des vidéos et des snaps, typiques de la textualité mobile composite entre images, textes et graphies, est l’oeuvre d’un réalisateur qui s’excuse par avance du format vertical de ses vidéos mobiles lorsqu’il présente sa chaine « Casey Neistat’s Snap Stories » sur YouTube. Cette dimension transmédiatique de traversée des contenus des applications et des plateformes correspondant par ailleurs aux pratiques même du digital connecté combinant des constellations singulières propres à chacun de services, de fonctionnalités et de terminaux.
Désormais, l’application Snapchat propose une fonction « Discover » d’actualités (vidéos, photos….) proposées par différents médias (CNN, MTV etc) et marque un tournant « mobile only » dans la stratégie digitale de la presse. Le format de « l’écran vertical » du mobile devient ici un support pour ne plus se connecter seulement à soi-même mais pour voir le monde à travers des propositions formelles assumées comme telles puisque la description de Discover par la team Snapchat met en avant moins l’aspect social que créatif. Dans l’offre « Discover », on note également des mini-séries qui sont produites par Snapchat notamment par les enfants d’Hollywood comme la fille de Steven Speilberg avec et cette mini-série –« Literally Can’t Even » diffusée les samedis, d’une durée de 5 minutes et s’effaçant au bout de 24 heures (ce qui ouvre au passage un nouveau dossier de conflictualité entre acteurs du numérique, ici Snapchat censurant YouTube 🙂 ) Le chantier créatif autour de la vidéo mobile– dans le sillage des short com popularisée sur YouTube notamment – est ouvert et nous l’analyserons dans un prochain billet.
Les mobiles sont les « yeux du monde » comme l’exprimait un manifestant iranien en juin 2009 en exhortant les protestataires à tout filmer. Les pathologues du narcissisme contemporain se sont aveuglés en décrivant snapchat et le selfie comme une pratique expressiviste uniquement égocentrée. Il existe également des campagnes usitant la fonction story pour produire des récits à la première personne comme cette campagne de l’UNICEF d’alerte sur les déplacements d’enfants au Nigéria lié à la secte Boko Haram.
Les mobiles comme yeux du monde : partager sa vie filmée, un nouveau ready made by mobile
Cette métaphore des mobiles comme yeux du monde est aujourd’hui plus que jamais en usage avec le développement d’applications de stream mobiles comme Merkaat et Periscope, dont le slogan marketin est « Explore the world through someone else’s eyes ». Le live stream mobile (Bambuser, Qik…) n’est pas une innovation en soi mais ces nouvelles applications participent de la socialisation accomplie d’une culture mobile. Ces applications de live stream mobiles qui ne sont subsumables sous les usages usages de live selfstreaming mais viennent s’implémenter dans le contexte des pratiques communicationnelles. Communiquer par un langage métissant les signes de l’écrit et de l’image, s’exprimer et interagir par le biais de vidéos partagées ou créees par soi-mêmes correspondent à des pratiques socio-numériques mobiles contemporaines. Chez les plus jeunes « vivre et filmer sa vie » dans le même temps – réalisant ainsi les voeux de Michel Foucault de « stylisation de l’existence » – leur offre la possibilité de transformer créativement une existence banale passée le plus souvent dans les espaces clos des écoles, collèges et lycées. Faire de sa vie un film à partager par le biais de ces technologies de communication rejoint le geste de transfiguration du banal de Marcel Duchamp. Avec ces usages re-créatifs juvéniles de la vidéo conversationnelle, la vie devient un ready made by mobile.
Signalons déjà que sur la base de ces applications de live mobile sont imaginés des détournements (commerciaux) comme ce Meerkartroulette. Outre les usages pour les journalistes « mobile embed » , certains politiques s’en saisissent comme aux Etats-Unis prolongeant le répertoire de la causal political video prête à être partagée sur les réseaux sociaux comme interview par le biais de l’application Merkaat de la White House press secretary.
La visite distale ou ce que je vois de mon periscope
A suivre donc sur ce blog et ailleurs. Autre chantier en cours avec le développement des pratiques de « regard filmé » avec les appliations de live mobile, les questions de droits de reproduction et de transmission notamment dans les spectacles et les manifestations sportives. Ou comme ici avec l’application de live mobile Periscope qui permet d’entrevoir, à travers cette image-fente de l’écran vertical du téléphone, qui permet d’entrevoir une séance de calligraphie.
La pratique de la visite distale, c’est à dire la visite à distance, s’observe comme l’un des usages juvéniles des applications de live mobile. Suivant la métaphore des « ados vampires » se socialisant tard dans la soirée, des sessions vidéo mobile en direct sont annoncées sur Twitter sous des accroches « On papote » ou « qui veut se faire un live ce soir ».
Lors de ces cessions, lycéens ou étudiants parlent de leur vie quotidienne ou répondent aux questions, blagues et autres insultent qui surgissent comme des bulles de tchat sur l’un des côtés de l’interface tandis que que l’autre partie du tryptique des coeurs éclosent. Au centre, l’image verticale permet d’entrevoir l’hôte et un pan de décor domestique.
A l’instar des films des premiers et du genre « trou de serrure » que la firme Pathé avait popularisé, les usages naissants du live mobile réinventent cette invitation à regarder au-delà des écrans et à s’inviter en imagination chez tout à chacun.